lundi, août 31, 2009

Comment tombent les héros - Troisième partie (5)

Thomas & Nathalie.

Allongés sur le lit de Nathalie, blottis l'un contre l'autre, ils se regardaient dans les yeux. Thomas était plus calme, son énervement contre lui-même dissout par le souvenir de leur intimité. Il n'oublierait pas, pas pendant longtemps, ni la disparition de son amie, ni les erreurs qu'il avait commises, mais il sentait confusément qu'il avait fait de son mieux. Elle l'avait rassuré, elle avait arrêté sa chute, et il sentait qu'il pourrait remonter, pas forcément tout de suite, pas forcément demain, mais il le pourrait. Le mal de tête qui ne l'avait pas quitté depuis qu'il avait appris que Sandra était à l'hôpital s'estompait doucement. Il réfléchit à nouveau à tous ces jours durant lesquels il avait couru de pleurs en pleurs, de coups de téléphone en coups de téléphone, réduisant les petits moments sans histoires de ses interlocuteurs en tragédies ordinaires. Des chocs sourds ruinant ce dimanche d'automne comme les autres où elle les avait quittés. Ce matin-là, vers dix heures, Gallore, qui avait réussi à se faire passer pour un oncle et pouvait rester près d'elle plus longtemps, l'avait appelé pour lui dire qu'elle était "proche de la fin", et qu'elle souhaitait les voir tous ensemble. La migraine avait commencé, sourde, entêtante. Il avait appelé tout le monde, Elisa d'abord, puis Nathalie, puis Jean-Louis, puis Abraham. Puis il avait couru vers l'hôpital. Il était arrivé le premier, retrouvant Ernest penché sur elle, tenant d'une poigne douce sa petite main frêle, en silence. Il s'était approché et elle avait souri, comme si de rien n'était. Elle avait l'air si faible, l'athlète confirmée, la danseuse, la guerrière, réduite à l'état de fantôme triste au fond d'un lit d'hôpital. Il avait tenté de lui rendre son sourire, tout en sachant qu'il n'y parviendrait pas. Sa respiration était rauque, et dans son regard tout semblait s'éloigner, quitter le monde. Ernest avait croisé le regard de Thomas, "bientôt, très bientôt", un désespoir palpable l'enveloppant comme une cape. Sandra semblait concentrée, semblait lutter contre ce départ forcé, comme si elle attendait. Mais pour la première fois depuis qu'il la connaissait, Thomas la voyait perdre la bataille. Epuisée, éreintée, elle n'arrivait plus à rester. Jean-Louis et Rachid étaient arrivés alors, sans un mot, et Jean-Louis s'était précipité vers elle, un sanglot déchirant son grand corps maigre. Et au même moment elle avait crié : "Non, pas tout de suite, ce n'est pas juste ! Ils ne sont pas encore là, pas encore. Aide-moi Jean-Louis, je n'y arrive plus ! Je n'y arrive plus toute seule et ils ne sont pas encore là."
Thomas n'avait pas entendu la réponse de Jean-Louis, il avait remarqué sa grande main noire serrer contre son coeur la tête de sa petite amie, qui convulsa une dernière fois puis se tint immobile. Sa migraine empira, emplit son être tout entier, emporta son esprit au-delà de lui-même. Il se laissa tomber au sol, près de Rachid qui pleurait toutes les larmes de son corps. Elle était partie. Immédiatement ou presque, ils furent chassés de la pièce par une infirmière, retrouvant Elisa dans le couloir. Il l'avait serrée dans ses bras, puis tout était devenu noir.
Il se retourna, contemplant le plafond lambrissé de la chambre de Nathalie, expira. Elle passa la main le long de son torse.
-"Elle était si triste qu'on ne soit pas tous là, tu sais ? J'ai pas réussi à faire venir les gens assez vite. J'aurais tellement voulu qu'elle ait droit à ça..."
-"Tu ne pouvais pas les téléporter. Tu as fait ce que tu as pu."
-"Je sais. Il m'a fallu tout ça, aujourd'hui, toi, et tout, pour m'en rendre compte. J'ai fait de mon mieux. Mais ça n'a pas suffi. Elle kiffait tellement quand on était tous ensemble, juste à traîner. Et nous aussi. On pouvait rien faire pour l'aider, tu vois ? A part être là. Et c'est arrivé tellement vite qu'on n'a pas pu faire ça, même ça. Et c'est nul."
-"Elle devait le savoir. Que vous essaieriez, que vous ne risquiez pas de l'oublier. Que vous étiez là pour elle. Ca fait beaucoup, quand même."
-"Tu as raison." Il laissa passer un long moment en silence, perdant son regard dans les noeuds du bois au plafond.
-"C'est pas comme ça que j'imaginais ma première fois.", déclara-t-il, songeur. "Ca en fait, des émotions. Des choses à réfléchir..."
-"Tu aurais préféré un autre moment ? Un autre endroit ?", demanda Nathalie, d'une voix calme.
-"Je ne crois pas, non. Et on était prêts, alors ça va. J'ai... pas été trop... nul ?"
-"Tais-toi", répondit-elle en lui jetant un petit oreiller à la figure. Il la serra dans ses bras. Son mal de tête était passé. Il jeta un oeil à l'horloge. Ils avaient peut-être encore le temps.

Aucun commentaire: