dimanche, février 26, 2006

Morceaux choisis (2)

Dans la série "Mes vieux trucs dont je n'ai toujours pas honte aujourd'hui" : Une autre petite poésie mignonette :

Temps
Prends deux minutes dans ta main
Laisse passer entre tes doigts
Laisse passer les petits grains
De ta vie qui s'effrite en toi
Sable, sable, incessant progrès
Scandé par ce que ton coeur sait
Mécanique fuite du temps
Ta main est vide maintenant
Bonne semaine.

lundi, février 20, 2006

Reprise de Donj'

Bouddha est une étrange créature. Après l'avoir suffisamment carressé dans le sens du poil (et ce fut dur, oh, ce fut dur...) nous avons réussi à le faire rentrer lui aussi dans le monde fabuleux de la maîtrise de jeu de rôles. Et, comme il est un peu notre Grand Ancien à nous-non pas qu'il soit le plus vieux (en fait, si !)-nous avons réussi à le persuader de nous maîtriser Donj', ce qui est plutôt cool, dans la mesure où je me sens de moins en moins l'envie de le maîtriser. Là où les choses deviennent encore plus drôles, c'est que nous allons jouer dans X-Crawl, qui est une sorte de croisement entre Survivor et le Dungeon Crawling : Exploration oui, mais télévisée. Nos persos sont des explorateurs de Donjon façon Fort Boyard, sauf qu'on ne file rien du trésor aux pauvres (à moins que ceux-ci ne soient particulièrement fournis en objets magiques), des stars, des athlètes professionnels ! Une petite idée particulièrement bien trouvée pour donner un peu de pêche à un jeu qui a perdu pas mal de ses univers originaux en passant à sa troisième édition. Vendredi dernier, donc, Bouddha, s'armant de tout son courage, se rendit à Lausanne, dans la demeure de votre serviteur, les bras chargés des lourds ouvrages nous permettant de créer notre équipe de X-Crawlers sexy en diable. Bouddha étant la créature étrange qu'il est, avait bien entendu oublié de prendre ses dés. Manifestement impressionné par la somme colossale de boulot à accomplir (malgré une préparation absolument sans faille, il faut bien l'avouer), il eût bien du mal à tout faire, les besoins simultanés des joueurs grandissant de manière exponentielle lorsqu'il s'agit d'être efficaces et patients. Néanmoins, à la fin de toute ces aventures, et après avoir passé un samedi tout à fait agréable (bien que calme, l'idée de célébrer nos personnages nous ayant poussés à abuser un peu de la Vodka-Red Bull), notre presque MD est donc parti... sans les fiches de perso (il me laisse sans doute le loisir de les "polir" un petit peu en attendant son retour)... Alors, pour ceux que ces choses-là intéressent, voici l'équipe (pour l'instant sans nom) :
Pour le bourrinage : Rebecca, as Xelana : humaine, guerrière, elle a démarré la partie avec 4 dons, une épée large, et une batte de base-ball en alu, ainsi qu'une sympathique petite armure de microtoile. Elodie, en Ranger (au regard d'acier, bien entendu), capable de balancer des flêches comme s'il en pleuvait, ainsi que d'assurer presque aussi bien que la bourrine au corps-à-corps, une étoile montante à n'en pas douter (c'est aussi un elfe... no comment). Rayon magie de combat, c'est à une jeune et talentueuse Halfeline qu'il faut s'adresser : Frêle, mais dotée d'un énorme ciboulot (métaphoriquement parlant, bien entendu, sinon ses jambes ne supporteraient pas), la charmante Alania Gandja, bientôt sublimement interprétée par la somptueuse Valérie nous soutiendra de ses gros sorts bourrins. Pour le côté plus printanier, le nain Mestiful "le Divin" nous soutiendra de ses nombreuses facultés curatives, ainsi que du sourire inoubliable de son créateur, le sexy Jojo, jeune premier ayant déjà été remarqué pour sa prestation dans Les Feux de l'Amour (rappelez-vous, c'était lui, "Client du restaurant numéro 3" dans l'épisode 2056). Cette fière équipe ne saurait être complète sans un meneur, véritable sex-machine, et aventurier hors-pair, mais rassurez-vous, Edward "Jazzy F" Stahleene est là. Sous ses airs de Halfelin dévergondé se cache un grand professionnel, doublé d'un voleur confirmé, capable de délicieuses Sneak Attacks à +2d6, ainsi que d'une panoplie de skills très utiles dans cet environnement terrible. Joué par votre serviteur, "Jazzy F" Stahleene est prêt à mettre le feu quelles que soient les circonstances. (Si avec un pitch comme ça notre équipe n'est pas sponsorisée tout de suite ou presque...) Bref, de bonnes parties en perspective. Je me demande déjà à quelle sauce nous allons être mangés, quels adversaires nous attendent, et tout et tout. Je me réjouis d'avance d'engranger les XP et les PO sans lesquels il n'est pas de bonheur possible.

Le pire dans tout ça...

Je trébuche sur la fille à côté de moi. Elle se retourne, forcément en colère, et me grogne dessus. Sa peau est grise et pend par endroits, révélant des taches de chairs nécrosées. Absolument immonde, comme tous ceux qui m'entourent. Je tourne la tête. La masse de mes semblables avance, inexorablement. Ils sont grisâtres, parfois d'un brun rougeâtre pour les plus abîmés ou goinfres, certains sont recouverts de moisissures, de vert-de-gris, d'autres substances. Les plus vieux ne sont presque plus que des squelettes, dont les articulations craquent à chaque pas. Il leur reste bien un peu de peau, mais elle est parcheminée et pourrie. Ceux-ci ont au moins une chance : les asticots ont arrêté de les bouffer depuis un moment déjà... Un râle devant : Les barbelés du camp de réfugiés sont en vue, et déjà les premiers d'entre nous se font faucher par les balles. Mais ils se relèvent. Comme si de rien n'était (c'est un peu le cas, en vérité). Mouais. Ces irréductibles ont l'air d'être d'assez mauvais tireurs, en fait. Peut-être ne savent-ils pas : DANS LA TETE, bande d'abrutis ! Peine perdue. Les premiers ont atteint les barrières, poussent, griffent, arrachent ce qu'ils peuvent. Nous sommes silencieux, en fait. A part quelques grognements, pas un bruit ne nous accompagne. Nous ne parlons pas, nous sommes suffisamment légers et lents pour ne faire que peu de bruit lorsque nous marchons, et nos bruits sont de toute façon couverts par les leurs, leurs cris, leurs moteurs, leurs coups de feu. Nous sommes tout simplement inexorables : nous avons tout le temps du monde. Nous sommes là pour bouffer, ce que nous faisons, tous les jours, à outrance, et chaque fois que nous rencontrons un morceau de viande. Nous ne connaissons pas la maladie, le froid, la déshydratation. Mais ce n'est pas le pire.
Les barrières tombent dans un grand fracas, et c'est l'hystérie dans le camp. J'arrive près de l'entrée, et les autres ont grimpé sur les cadavres des premiers pour y pénétrer. Pour des mateurs, les survivants se sont pas mal défendus, un vrai carnage ! Tiens, d'ailleurs, je reconnais la fille sur qui j'avais trébuché. Un trou de 10 centimètres de diamètre dans le crâne, elle ne grognera plus sur personne. Dommage, elle avait l'air sympa. J'ai un peu de mal à poursuivre les plus pressés, ma jambe droite s'est brisée net lorsque je suis mort en montagne, et elle ne tient plus que par un lambeau de chair qui pourrit de plus en plus. J'hume l'air, ça sent le sang, sans aucun doute. Et la chair. J'ai appris à reconnaître tout ça, depuis l'accident. Nous sommes efficaces : nous sentons les vivants, de loin, nous devinons leur taille, leur état de santé, leur peur aussi. Nous ne connaissons même pas vraiment la faim, nous percevons et allons consommer, c'est un réflexe, même pas une envie. Encore moins un besoin : nous ne mourons pas de faim, nous ne pouvons pas mourir. Mais ce n'est pas le pire.
Une petite cabane de tôle, éloignée du gros de la horde, une petite silhouette dedans. Probablement un adolescent, peut-être un môme. Même les grands sont petits de nos jours. Ils n'ont pas assez à manger, leur croissance est erratique, ils sont voûtés, difformes. Ils nous ressemblent un peu. D'un geste, j'arrache la porte. Elle est là, acculée contre le mur, terrorisée. Une déflagration, je tombe. Elle m'a tiré dessus. Colt .45. La jambe gauche, forcément. Je me retourne, et je la vois derrière moi, dégoulinant un sang noir et poisseux. Je commence à ramper, mais elle me fauche encore une fois : c'est un bras, cette fois. Le droit. J'arrive quand même à m'approcher, m'approcher... mais elle me fauche l'autre bras... En poussant sur mon presque moignon, j'arrive à franchir les quelques mètres qui restent. Elle hurle, et finit de me démembrer. Je ne peux plus bouger. Elle finit par me mettre une balle dans le torse, qui ne me fait absolument rien, puis elle saute par-dessus ma carcasse et se dirige vers la porte. Je me retourne tant bien que mal vers la porte, la suit du regard. A peine a-t-elle franchi le seuil qu'elle est attrappée par un petit, qui lui mord immédiatement la hanche, en la faisant tomber au sol. Elle hurle quelques instants, son sang se répand sur le sol, et ensuite on ne l'entend plus. D'autres l'ont sentie, se sont approchés d'elle et commencent à la déchiqueter de leurs griffes, de leurs crocs. Il ne restera pas suffisamment d'elle pour se relever. Autour de nous les cris se font plus rares. Le calme revient progressivement. La horde se regroupe, et hume l'air : il y a peut-être des survivants vers l'est. Tout le monde va se remettre en route, mais moi je reste ici. Nous ne faisons pas de sentiments, nous avançons, de gauche, de droite, au gré du vent, du hasard. Nous ne montrons pas de compassion, de pitié, ni de colère ou de peur. Mais ce n'est pas le pire : le pire, c'est que nous sentons ces choses. Ou en tout cas je les sens encore, moins qu'avant, mais je me suis habitué. Je ressens toute l'horreur de ces corps mutilés, de ces êtres broyés, j'essaie de retenir mes coups, mais rien n'y fait. Le pire dans tout ça, c'est que je suis encore dans ma carapace de mort, enchaîné à cette coquille immonde. Je suis ici, dans cette cabane de tôle, bel et bien ici, à me demander si je deviendrai complètement fou d'ennui avant qu'on m'achève.

lundi, février 06, 2006

Blind Date (2)

Une demi-heure plus tard, je sais d'elle :
-Qu'elle travaille comme éditrice, que son boulot est de lire des propositions et de gérer des écrivains "à l'ego immense".
-Qu'elle a un chat siamois appelé Pythagore, ayant perdu un oeil dans des circonstances mystérieuses. "Probablement une quelconque querelle philosophique..."
-Qu'elle refuse de conduire de peur d'y prendre goût et de blesser le train qu'elle a pris tous les jours pour venir de banlieue.
-Qu'elle aime les fraises givrées, et les milk-shakes à la vanille.
La conversation, malgré mon trouble, vient sans peine. Mon besoin a au moins ça pour lui : je la dévore des yeux lorsqu'elle parle. Mon regard est intense, fixé sur elle comme si tout l'univers autour de nous s'effaçait, comme si les lumières dans le bar s'étaient doucement apaisées puis éteintes... Finalement, aucun des sujets que j'avais recherchés pour lancer la conversation ne m'a été utile. J'ai même un peu parlé de moi. Et posé des questions, je me suis intéressé à elle, vraiment, de tout mon coeur, essayant de lui faire comprendre à quel point j'ai besoin d'elle à quel point elle est ce qu'il me faut. J'ai repris un café, puis un autre. Elle boit des ristretti qu'elle commande avec un accent des plus délicieux. Elle fume de temps en temps, des menthol qui m'intoxiquent. Son odeur combine ces arômes, et d'autres, un Dior probablement, capiteux mais discret, et surtout sublimé par sa peau. Des yeux, du nez, des oreilles je la dévore toute entière ! Elle m'enivre suffisamment pour que je me lance : je lui saisis la main, et lui propose de dîner avec moi, chez moi. Elle accepte. Cela fait si longtemps que personne n'a accepté ! Mon désir, mon besoin s'agitent en moi, tels une bête furieuse et affamée. Nous nous levons, je paie, l'aide à enfiler son manteau (son cou si blanc, si pur). Je la prends par la main, et la guide vers mon logis. Nous y sommes en quelques minutes, mes mains tremblent alors que je cherche la serrure. L'appartement est immaculé, j'y viens si peu. Moi qui avais si peur de me trahir, de paraître si désespérément affamé... Elle s'émerveille de mes goûts, de mes tableaux de maître, de toutes ces choses dont je n'ai cure, tellement je la sens près, prête à devenir ma proie. Mes crocs, déjà, s'allongent. Mais j'ai si peur, si peur qu'on me découvre, qu'on me voie. Si peur de me réveiller avec un pieu dans le coeur pour ne plus jamais revenir. Je ferme la porte derrière nous.

Cette nuit-là, la porte de l'appartement 12 b s'ouvrit sans un bruit autour de deux heures du matin. Une silhouette grande et légère, sentant les cigarettes mentholées et le parfum (plutôt Guerlain que Dior) descendit les escaliers dans un silence presque surnaturel.
"Quel dommage, pensa-t-elle, de se nourrir de l'un des nôtres... Bah, les temps sont durs, et il était déjà sur le point de mourir de faim. Un pudique, sans doute..." La silhouette haussa les épaules. Déjà, elle avait quitté l'immeuble, et avait disparu dans la nuit.