lundi, décembre 03, 2007

ACTIOOOOOOOON(3)

Chose promise, chose due, voilà la fin de cette scène d'action. J'espère que vous vous êtes bien amusés.

La roquette explosa dans une gerbe de flammes, percutant Jack de plein fouet. Il fut projeté plusieurs mètres en arrière et alla s'écraser contre un mur. Autour de lui, les énormes containers s'étaient arrachés au sol dans un grincement déchirant, avant de se renverser dans un fracas indescriptible. James aperçut la Comtesse bondir vers un endroit moins touché par l'explosion. Malgré sa vitesse surhumaine, et ses capacités prodigieuses, elle dut se recevoir en roulé-boulé, s'arrêtant de justesse avant le prochain couloir. Pendant ce temps, le LetheBot avait réussi à la cibler, la suivant de son pointeur laser. James entendit une nouvelle roquette s'engager dans le tube du robot. La Comtesse n'avait pas de NEST-D, il allait falloir ruser. Il lui transmit sur son Senso un message : « Vas-y ! » La Comtesse s'élança, alors que le container qu'elle venait d'atteindre se dérobait lui aussi sous ses pieds. Elle bondit, exécutant en plein vol un majestueux salto, et vida son chargeur directement dans l'échine du LetheBot, où se trouvait son contrôleur d'intelligence artificielle. Le robot se retourna immédiatement, visant sa nouvelle cible. Bénissant le fait que le cerveau artificiel de la machine était incompatible avec les derniers Senso, James profita de l'aubaine pour commencer son approche, le long d'un étroit passage. Un mouvement devant lui l'avertit de la présence d'un nouvel adversaire. Profitant de sa surprise, James lui logea promptement une balle dans la tête. La situation était suffisamment grave pour ne pas prendre de gants, pensa-t-il. Il envoya à ses deux compagnons une requête de statut. La Comtesse répondit immédiatement qu'elle était à couvert, mais que le robot allait sans doute balayer la zone, voire envoyer une roquette dans les containers proches, lui rendant toute échappatoire difficile. « Pas en bonne posture, mon cher... », conclut-elle. Pas de réponse de Jack. Son Senso semblait fonctionner, néanmoins, ce qui voulait dire qu'il n'était ni mort, ni inconscient. James se détendit un peu : Cela signifiait que Jack était en train de former sinon un plan, une manière de retourner la situation à leur avantage, temporairement tout du moins. Il continua sa progression vers la zone où se trouvait le LetheBot. Ils semblaient s'être débarrassé du gros des troupes, et le robot était le dernier obstacle entre eux et leur objectif. Un obstacle de taille, certes, mais l'espoir était là. Il se remémora tout ce que les briefings lui avaient appris sur la machine : excessivement rapides et mobiles, les LetheBots étaient redoutables dans tout combat sur terrain non accidenté (leurs poids leur interdisant tout saut). Ils étaient pilotés par un logiciel de pointe, programmé pour faire face aux situations tactiques les plus subtiles, capables d'apprendre quasi-instantanément les stratégies de leurs adversaires et d'élaborer des contre-offensives la plupart du temps efficaces. Etonnamment, la Comtesse n'était pour rien dans la conception de ces machines, si ce n'était pour les armes embarquées dans chacun de leurs bras, l'architecture neuronale de leur cerveau artificiel, et quelques uns des servomoteurs dans leurs articulations. « Des broutilles de-ci, de-là... », avait-elle déclaré, la première fois que leur petite équipe avait rencontré ce genre de résistance. James se dit qu'il ne la remercierait jamais assez d'être de leur côté. Elle avait pourtant tout à gagner à s'engager du côté du NWM mais, lorsque parfois il évoquait le sujet, elle balayait la discussion d'un petit geste impatient de la main.

Le LetheBot cherchait toujours à détruire ses appuis. Elle arrivait encore à esquiver les coups, mais le spectacle de destruction qui se présentait désormais tout autour d'elle lui laissait présager une fin des plus rapides si le plan de Jack échouait. Le fracas des explosions, des impacts de balles, des grosses boîtes de métal qui se tordaient, était étourdissant. Elle commençait à fatiguer. « Reprenez-vous, Mademoiselle, résonna la voix de Mary, sa vieille gouvernante, une Lady n'abandonne jamais avant d'avoir tenté l'aventure, que ce soit pour un dîner pour les soixante convives du pavillon de chasse de votre père, affamés par l'hiver et les loups qui rôdent, ou pour abattre un mécréant tentant d'attenter à sa vertu. » Elle sourit, malgré ses mâchoires serrées par l'effort, et sauta sur l'un des derniers containers dont la structure ne semblait pas prête à s'effondrer. Son Senso lui envoya un plan tactique. Jack avait eu une idée brillante.

Il était ailleurs. Il était profondément en lui. Il ne sentait rien d'autre que ce qu'il choisissait de sentir, il ne voyait rien d'autre que ce qu'il choisissait de voir. Ce n'était pas la fumée qui lui piquait les yeux, ce n'était pas l'explosion qui avait causé ce bourdonnement dans ses oreilles, cette douleur dans ses membres. De là où il se trouvait, il percevait encore la jungle, les cris des fauves en chasse. Il pouvait choisir de voir l'entrepôt, ce qu'il faisait en ce moment, mais il ne s'y trouvait pas. Il y avait envoyé sa force, il y avait envoyé sa rage. L'explosion n'avait blessé que sa surface, mais lui se trouvait ailleurs, bien plus profond et, de là, il pouvait évaluer clairement la situation. Il passa une main sur son visage, pour enlever la pellicule poisseuse sur son oeil droit. Puis il accéléra. James était sur sa droite, en progression rapide, prêt à agir. La Comtesse occupait son adversaire, mi-souris, mi-chat, tentant de briser la carapace de Plastiflex recouvrant le cerveau artificiel. Ceci lui laissait le temps. Il signala son intention à James, sans une parole. Il était incapable d'utiliser le langage, en ce moment précis. James lui envoya un signe d'acquiescement. Il semblait avoir compris. Le robot n'était plus qu'à quelques mètres. Jack se campa juste derrière, reprogramma son NEST, entoura un mince ruban de nanomachines autour de son poignet, puis sauta. L'essaim de petites machines suivit son mouvement. Au moment où il commençait à retomber, son NEST s'illumina, chaque nanorobot crépitant d'énergie. Le LetheBot fit immédiatement volte-face, mais se retrouva pris dans le nuage. Il s'immobilisa instantanément. De sa retraite, là-bas, en lui-même, Jack entendit son corps hurler.

James se précipita vers Jack et son prisonnier. Il visa précisément les articulations du robot, faisant voler en éclat les délicats servomoteurs contrôlant les mouvements du monstre, qui manqua de s'écrouler sur Jack, toujours recouvert d'une pellicule de nanomachines, dorée comme du miel. La Comtesse arriva en un éclair. Elle sortit de sa poche un petit clavier portatif sur lequel elle tapa rapidement un code. Le NEST sembla soupirer un moment, puis tout l'essaim finit sur le sol.
« Imbécile, cria-t-elle à l'attention de Jack, toujours inconscient, savez-vous le danger que vous encourez à contrôler directement un NEST ? Vous pensez que votre cerveau est capable de gérer un échange d'information avec un pareil réseau sans risquer que celui-ci ne se déverse en lui ? La douleur a dû être intenable, espèce de... de schizophrène ! » Elle sembla se calmer un instant, avant de reprendre : « Vous avez vu ça, James, cet homme est fou ! Il aurait pu être lobotomisé par ces choses. Je vous jure devant Dieu que c'est la dernière fois que je travaille avec pareils primates ! Oh, ne faites pas cette tête-là, vous saviez très bien ce qu'il comptait faire, et ne m'interrompez pas, s'il vous plaît, vous n'avez rien d'intéressant à contribuer à cette conversation. Il a branché son cerveau directement sur l'essaim... Vous comprenez ce que ça veut dire ? Probablement pas, béotien que vous êtes. Il aurait pu y perdre la vie, et nous la nôtre, par la même occasion ! ». James baissa la tête. Il n'était pas capable de répondre à la Comtesse. Elle avait raison. Il s'estima heureux d'être en vie. Il attendit, tête baissée, que l'orage se calme, puis demanda : « Comment va Jack ? ».
« Il est en vie, et son état semble normal, celui d'un imbécile doublé d'un dément. Mais je pourrais en dire autant de vous. »
James tenta un sourire. La Comtesse lui jeta un regard d'une infinie patience. Décidément, il était de plus en plus soulagé de ne pas la compter parmi leurs adversaires.

jeudi, novembre 08, 2007

ACTIOOOOOOOON(2)

Pour continuer un peu dans la baston !

La Comtesse s'élança tout de suite, prenant les débris de la porte de vitesse. Sur sa droite jaillit un homme, vêtu d'une combinaison MagnaShroud, kevlar et soie d'araignée de synthèse, particulièrement résistante aux balles. La Comtesse sourit. Sa famille fabriquait la MagnaShroud dans ses propres usines. Le fait que ces hommes soient équipés de son propre matériel lui mit la puce à l'oreille : ces équipements étaient strictement supervisés par les gouvernements auxquels ils étaient fournis, et à moins d'un cambriolage de grande échelle dans l'un de ses labos, elle s'imaginait mal comment tout ce matériel avait simplement pu disparaître. Une balle dans chaque rotule plus tard, elle engagea son SensoRéseau et son surpresseur cinétique. Le monde ralentit. Elle distingua un autre soldat sur sa gauche, se dégageant lentement, trop lentement, de son abri. En deux foulées, elle était sur lui, pressa le canon de son arme sous son menton, et se dégagea dans la fraction de seconde nécessaire à la balle pour s'extraire du crâne, emmenant avec elle un morceau de matière grise. Sa robe ne fut même pas tachée. Un mouvement dans sa vision périphérique lui fit faire volte-face : l'homme qui s'approchait se mouvait presque à sa vitesse, faisant feu de son arme automatique, un vieux modèle, sans gyrostabilisateur. Probablement pas aidé par des implants, se dit-elle, constatant ses mouvements peu précis et ses yeux injectés de sang. Probablement sous TimeWarp, un réhausseur d'activité cérébrale qu'elle avait développé elle-même un soir de cuite. Le problème était que la drogue, si elle améliorait effectivement le temps de réaction du cerveau, ne faisait que rendre impossible aux muscles de désobéir, sans leur fournir une quelconque aide. Le pauvre petit allait sans doute périr d'un arrêt cardiaque, son coeur éclatant sous l'effort, même si elle ne s'occupait pas de lui immédiatement. D'ailleurs, pensa-t-elle en esquivant une de ses rafales, il était temps d'en finir. Elle s'accroupit, évitant une autre série de balles, puis bondit au dessus de son adversaire, lui logeant une balle dans l'échine. Elle atterrit sur l'un des énormes containers, froideur du métal sous ses pieds nus. En sécurité pour le moment, elle ordonna mentalement à son Senso de zoomer sur James. Le logiciel neuronal s'exécuta, mais malgré son amélioration d'image, elle eut du mal à le distinguer.
James avançait silencieusement. Il était concentré sur chaque mouvement, contrôlant chaque muscle, ne causant que le plus ténu des déplacements d'air à chaque pas, invisible dans l'obscurité, s'approchant de ses adversaires par des chemins tellement complexes que seul un observateur attentif et surentraîné aurait pu les comprendre. Il avait toujours su exploiter le terrain à son avantage, savait s'arrêter de bouger au moment exact où il aurait pu devenir perceptible. Dans l'illustre école privée dans laquelle il avait été enrôlé de force, il était devenu l'obsession de ses surveillants qui n'avaient jamais réussi, en cinq ans, à le surprendre hors de son lit lors de ses escapades nocturnes. Il avait activé son Senso lui aussi, mais ne portait pas de surpresseur, préférant avancer à son rythme, sans se presser. Son temps de réaction était minime de toute façon, et il ne servait à rien d'agir à une vitesse surhumaine lorsque votre cible était complètement inconsciente de votre présence. Il se glissa silencieusement derrière un type lourdement armé, avant de le mettre à terre d'une balayette. Une rafale partit vers le plafond de l'entrepôt au moment où il heurta lourdement le sol. James saisit à sa ceinture un jeu de menottes physioadaptables qu'il passa sans mot dire à l'homme. Celui-ci , sonné, n'y opposa pas la moindre résistance. Son Senso l'informa de l'approche de deux paras, attirés par la rafale de leur compagnon, qui le prenaient en tenaille. Il jeta un oeil autour de lui : aucune issue possible. « Contrariant », pensa-t-il en se tapissant dans l'ombre, alors que ses deux adversaires entraient dans son champ de vision. Les deux hommes avaient sans aucun doute été équipés d'équipement de vision nocturne, ça ne suffirait pas. Il leva les mains, activant au passage son générateur de champ lumineux. Un flash intense, d'une demie-seconde, les fit hurler tous les deux. Oui, clairement, ils en étaient équipés. Mais ils reprendraient trop vite leurs esprits pour qu'il puisse leur échapper à tous les deux. Il hésita une fraction de seconde, puis opta pour la direction dont il était venu : il y avait là un petit passage, certes encombré, mais qui lui avait semblé prometteur. Il s'empressa d'assommer et de menotter le plus proche des hommes, et s'enfila derrière un container, évitant de peu une nouvelle rafale du deuxième homme, qui s'était relevé très vite. Trop vite, même, pour que James ait le temps de rejoindre les ombres. Il était piégé. Il leva les mains, et perçut soudain un mouvement venant du plafond. L'homme qui le tenait en joue réagit trop lentement. La pince de la grue s'abattit sur lui alors même qu'il ordonnait à ses jambes de faire un pas en arrière. « Vive les balles explosives de Jack », se dit James, avant de rejoindre les ombres.
Jack attendait. C'était son rôle, dans l'équipe. Peu importe la situation, peu importe le nombre d'adversaires, il avançait vers sa position, qu'il ne quittait que pour en trouver une meilleure. Lorsque la porte avait été soufflée par l'explosion, il l'avait nonchalamment saisie au vol, avant de la laisser tomber derrière ses compagnons. Lorsque quatre petites frappes avaient ouvert le feu sur lui, il avait activé son NEST-D (Nanomachine Extended Swarm Technology for Defense), et les avait méthodiquement descendus. La Comtesse lui avait dit que le NEST avait été testé (« et approuvé ! », avait elle dit dans un sourire) face à une 12'6'' de l'armée, tirant plus de 250 munitions de haut calibre à la minute. Il faisait confiance à la technologie, qui lui permettait de ne pas se soucier de tactique plus que de quoi que ce fût d'autre. Il avançait, de son pas traînant, vers une situation stratégique de laquelle il ne bougerait qu'à la fin du combat, couvrant ses compagnons en attendant. Il avait optimisé sa position, voyait parfaitement soixante pour-cent de l'entrepôt, et contrôlait trois issues. Pour le reste, il avait lancé des drônes qui informaient en temps réel son SensoRéseau, lui permettant de tout savoir ou presque de ses adversaires et, mieux encore, de ses compagnons. La Comtesse s'était remise en mouvement, et se dirigeait vers le fond de l'entrepôt, là où devaient se trouver les documents. Néanmoins, quelque chose le gênait. Il lui envoya un signal d'attente. Elle s'immobilisa instantanément, et se mit à couvert. Il reporta son attention sur James : Il avançait vers une zone passablement dégagée de l'entrepôt, et aussi vers un amas de métal qui semblait très suspect à Jack. Il lui signala aussi de s'arrêter, et décida de s'approcher lui aussi, reconfigurant les patrouilles de ses drônes. Il y avait quelque chose dans cet amas de métal que les caméras ne parvenaient pas à distinguer. Il s'avança donc à portée visuelle. L'amas de métal se souleva à l'instant où il arriva. Une tête de plastique noir en émergea lentement, ainsi que quatre membres, semblant se construire au fur et à mesure. « Bien entendu... », pensa Jack, impassible, au moment où une roquette quittait en sifflant l'un des bras du LetheBot.

samedi, octobre 20, 2007

ACTIOOOOOOON !

Ce soir, j'avais juste envie d'écrire un petit truc qui bougeait un peu, une façon de présenter des personnages qui me semblent sympas, et une situation qui dépote. Ce n'est pas un bout de quoi que ce soit, vraiment, simplement ce qui m'est passé par la tête ce soir. Je vous embrasse, amusez-vous bien :


Ils entrèrent dans l'entrepôt.
Pas un bruit ne se faisait entendre, pas un mouvement ne venait déplacer l'épaisse couche de poussière recouvrant le sol et les énormes containers jonchant le sol. Il jeta un coup d'oeil rapide à ses compagnons. A sa gauche, la Comtesse semblait tendue à se rompre. Concentrée, alerte, elle semblait être en mesure de percevoir le bruit d'une aiguille sur une botte de foin à des kilomètres. Sa longue robe de satin semblait refléter chaque parcelle de lumière, la faisant luire doucement dans la pénombre. Elle semblait avoir complètement occulté toute présence, faisant abstraction de tout à l'exception des difficultés à venir. Elle restait une énigme pour tous ceux qui la connaissaient, n'ayant jamais divulgué à qui que ce fût précisément de quelle comté elle était la Comtesse, refusant toute question sur ses origines, sur sa famille, sur l'origine de sa confortable fortune. On racontait que sa famille avait disparu dans des circonstances mystérieuses, qu'elle était la seule survivante de l'incendie du grand domaine familial, qu'elle était peut-être mêlée à l'incident, d'une façon ou d'une autre. Tout son être était auréolé de mystère. Tout ce qu'on pouvait apercevoir d'elle en la rencontrant, était qu'elle rayonnait de mille feux en toute circonstance, que ses yeux étaient de ceux qui lancent une armada, qu'elle était capable de se faire passer pour bien plus sotte qu'elle n'était réellement et, pour peu qu'on creuse un peu sous la surface, qu'elle était dotée d'une culture gigantesque, ainsi que d'une intelligence froide et analytique. Son nez aquilin était le contrepoint parfait à son menton pointu, lui donnant un air aristocratique, et ses pommettes hautes venaient renforcer son image de lady, tout en lui conférant une expressivité d'actrice classique. Ses cheveux de jais s'étaient détachés pendant l'affrontement précédent, et tombaient en cascade jusqu'au creux de ses reins, à l'exception d'une longue mèche épousant la naissance de son sein droit. Ses pieds nus étaient légèrement arqués sur le sol. Debout dans la poussière, légèrement rougie par l'effort, elle resplendissait encore plus qu'à son habitude. Ses bras fins serraient délicatement un Desert Eagle .45, dont le canon refroidissait doucement, déformant l'air au-dessus.
Il tourna la tête. Million Shot Jack semblait, comme à son habitude, détaché de tout, appréhendant ce moment de sa vie comme une expérience de routine, comme s'il avait déjà mille fois affronté ce genre de chose. Elevé au Guatemala dans un orphelinat par d'anciens Nazis, rêvant comme à leur habitude de la renaissance de leur Empire de demeurés (comme il l'avait toujours appelé, les rares fois où il avait parlé de son passé), il avait absorbé toutes leurs connaissances, tout leur savoir-faire, sans jamais se laisser souiller par leur idéologie, jusqu'au jour où il avait réussi à s'enfuir. La Comtesse avait appris, par « ses indiscrétions », comme elle appelait son impressionnant réseau de contacts autour du monde, qu'il y était retourné une fois, avec sa petite bande de mercenaires. De cet épisode, que la Comtesse avait qualifié de ''débauche de violence enthousiaste'', il ne parlait jamais. Il se contentait depuis de considérer tout fait nouveau avec un détachement qui effrayait parfois. Les pires horreurs qu'ils avaient traversées tous les trois l'avaient toujours laissé de marbre. Marbre dont son visage, éclairé par un rayon de lune passant à travers un trou dans le toit avait la texture, et la dureté. Son menton était carré, ainsi que le reste de son corps, donnant une impression de force brute, bien que tranquille. Il semblait moins concentré que la Comtesse, mais ceux qui l'avaient côtoyé dans ce genre de situation auraient pu jurer que sous sa façade se cachait une furie incontrôlable une fois libérée. Pour l'instant, cependant, il fredonnait un petit air, une vieille chanson révolutionnaire, doucement, sans sembler s'en apercevoir. Il n'était finalement pas très grand, à bien y regarder, mais il occupait l'espace autour de lui d'une aura de danger indescriptible, des promesses de la bataille, de pugilats dont personne ne saurait sortir indemne. Son menton fraîchement rasé était relativement fuyant, adoucissant son visage, martial à tous les autres points de vue. Ses yeux étaient d'un bleu d'acier, durs, mais animés d'une étincelle qui prouvait à l'observateur attentif qu'il était animé d'un feu éternel. Il était vêtu d'un pantalon baggy gris, d'un t-shirt sur lequel on pouvait lire le slogan d'une fameuse marque de soupe (« Hmmm, it's lovely ! »). Il portait des baskets bleues d'un autre âge, passablement abîmées par l'usage. Il s'était appuyé, pour observer la scène, à une grosse poutre métallique surplombée par un énorme grappin servant à déplacer des containers pesant pour certains presque une tonne, le canon de son fusil à pompe reposant entre ses pieds, la crosse calée contre sa main gauche.
Convaincu que ses compagnons étaient prêts à passer à l'action, il prit un petit moment pour parcourir du regard leurs environs directs, puis se tourna pour considérer les possibles issues. La porte qu'ils avaient empruntée était de métal, percée par une vitre brisée depuis des années, sans doute. A sa gauche se trouvait un panneau annonçant la dernière grève de la saison, ainsi qu'un avis d'évacuation pour tout le secteur. Plus loin pendait à quelques fils électriques une antique pointeuse, dont on pouvait de loin entendre le mécanisme, complètement asynchrone. ''L'électricité fonctionne'', se dit-il, ''toujours bon à savoir...' A droite de la porte, il y avait un bureau, dont les vitres sales ne permettaient de distinguer que quelques formes de meubles vermoulus. Un lavabo en piteux état se tenait devant, juste derrière la Comtesse, et quelqu'un, l'un des manutentionnaires sans doute, avait pendu à proximité un miroir, une petite serviette, et un blaireau. Il se regarda un instant dans la glace : son costume anthracite était noirci par les flammes, bien que finalement assez peu déchiré, à sa grande surprise. James Wintermute, de tous les mauvais coups, une fois de plus en train de risquer sa peau. Il avait pourtant promis à son patron que cette fois il allait finir sa mission dans les règles, qu'il allait rester dans les paramètres de la mission, de ne pas sortir du chemin... Il y avait des fois où ça ne se passait pas comme les patrons le voulaient. Il se vit hausser les épaules et se força brutalement à revenir au moment présent. Il inspira profondément, les yeux toujours rivés au miroir. Sa silhouette dégingandée et ses yeux rougis par la fumée le faisaient ressembler à une vision infernale, quelque démon de la faim venu dévorer les âmes des mortels. Il avait perdu ses lunettes de soleil peu de temps auparavant, et les courtes mèches de ses cheveux brun sombre qu'elles tenaient habituellement relevées tombaient maintenant juste au-dessus de ses yeux bruns-noirs. Il tenta une seconde, vainement, d'y mettre un peu d'ordre. Un mouvement presque imperceptible lui fit faire volte-face. Il y avait du monde, plus loin. Ils étaient attendus. Sans presque desserrer les lèvres, il interrogea ses deux amis :
-''Vous avez vu ?''
Tous deux acquiescèrent. Jack épaula, toujours aussi calme, son fusil, et engagea une cartouche dans le canon. Le craquement sec du fusil résonna comme un coup de tonnerre dans l'entrepôt silencieux. Rien ne se passa pendant une trentaine de secondes. Ils avaient décidé de les attendre plus au centre, en embuscade. Wintermute planta son regard dans les yeux de la Comtesse, qui lui sourit une fraction de seconde. Il se tourna vers Jack, qui haussa les épaules. Pas un bruit, toujours, excepté un rythme étrange venant de dehors, qu'il ne reconnut, à travers l'écho de l'immense cathédrale de verre sale et d'acier, qu'un peu plus tard. Un hélicoptère s'approchait, un modèle discret, probablement contre-terrorisme ou une agence de ce genre. Il passa directement au-dessus d'eux, en un éclair. Soudain, ils sentirent plus qu'entendirent un choc au sol, une vibration violente qui monta gentiment en puissance, alors même que les containers, le sol, et les murs se teintaient d'oranges et de rouges, malgré la poussière.
-''Va falloir foncer...'', fit James, qui commençait sérieusement à sentir la chaleur dans son dos, à entendre le cadre de la porte grincer sous la force de la dilatation.
-''Ravie de vous avoir connus, messieurs'', fit la Comtesse.
-''...'', répondit Jack en haussant les épaules.
Ils se précipitèrent en avant au moment même où la porte était soufflée par l'explosion.

dimanche, octobre 07, 2007

Apprenons à apprécier nos frères prognathes

Hier soir, ma maman, mon frère, et moi-même avons (et je vous jure que c’est vrai), regardé le match de rugby. Oui, madame, oui, monsieur, votre serviteur a fait une entorse à ses principes d’imperméabilité totale aux gesticulations des australopithèques décérébrés courant derrière une peau de porc gonflée, pour vous rapporter, en direct ou presque, ses impressions sur le sujet. Alors voici, dans le plus grand désordre, ce que j’ai compris du rugby :
Alors pour commencer, j’ai tenté d’en saisir les règles. Apparemment, dans ces grandes piles humaines qui ont lieu régulièrement sur le terrain, il existe une règle qui interdit à un des joueurs de l’équipe adverse de passer derrière les autres. Ma maman et moi-même en sommes arrivés à la conclusion que cette règle doit dater d’une époque durant laquelle, pour échapper au qu’en-dira-t-on, ne pouvaient se télescoper deux hommes d’une certaine corpulence qu’à l’expresse condition qu’ils viennent du même pays, ou l’on pourrait jaser. La question demeure cependant de savoir si aujourd’hui, alors que nos mœurs sont passablement plus libres qu’en ce lointain passé où il semblait encore nécessaire de connaître le prénom, le nom et le statut social de la personne que l’on étreignait, cette règle a encore une raison d’être. Je ne saurai le dire. Nous avons aussi appris qu’il n’était possible de passer à la main qu’à l’arrière. Mon frère, versé dans ce noble sport plus que nous deux autres réunis, nous expliqua que pour passer à l’avant on pouvait tirer au pied. La question se posa par la suite sur le fait qu’il fût possible de tirer vers l’arrière avec le pied… Il nous répondit, avec l’infinie patience qu’il exhibe en toutes circonstances lorsqu’il doit expliquer à des imbéciles, que c’était effectivement permis, mais aussi – ajouta-t-il en soupirant – complètement stupide, le but du jeu étant d’emmener le ballon non pas loin des velus d’en face, mais justement dans leur camp. Et moi qui croyais qu’ils se disputaient bêtement la possession de l'objet ! Non, en fait, si j’ai bien compris, tout dans ce sport est affaire de bonnes manières : si l’on devait scénariser l’affaire, ce serait une question de vieilles femmes de bonne famille, l’une ayant emprunté la soupière en argent de l’autre pour le repas organisé en l’honneur du Duc de Bourgogne, avant son départ dans une cure au plus profond de la Suisse pour y soigner une syphilis particulièrement virulente. Appelons nos deux commères Irène et Francesca, et rejouons la métaphore du rugby dans cette petite saynète, édifiante de pertinence si je puis me permettre pareille autocongratulation :

Irène : Allô, Francesca.
Francesca : Très chère Irène, comment allez-vous ? Comment va le duc ?
Irène : Très bien ma foi, chère Francesca, tout le monde a particulièrement apprécié le dîner, et vous aviez raison pour le quatuor à cordes, une bonne partouze ne passe jamais mieux que rythmée par Les quatre saisons de Vivaldi.
Francesca : Ah ! Ce Duc, quel homme !
Irène : Je ne vous le fais pas dire. Maintenant si je vous appelle c’est pour vous prévenir que je vais vous ramener votre soupière, chère Francesca.
Francesca : Mais pas du tout, ma chère Irène, n’en faites rien, j’avais l’intention de vous la donner, pour la ranger entre vos deux poteaux dans le petit salon ocre.
Irène : Je ne saurai accepter, Francesca, Je vous la ramène moi-même, et la rangerai entre VOS deux poteaux.
Francesca : J’insiste, j’insiste. J’ai justement quatorze amis qui se feront une joie de m’accompagner chez vous.
Irène : J’ai quatorze amis aussi, voyez-vous, et ils se réjouissaient tous de ranger votre soupière.
Francesca : Vraiment, vous me mettez dans l’embarras. Retrouvons-nous donc sur la pelouse. Et que les meilleurs gagnent.
Irène : A tout à l’heure alors !
Francesca : Mes amitiés au duc.
Irène : Au revoir !

Et c’est ainsi, d’après moi, qu’est née cette noble suite d’empoignades viriles.
Vous remarquerez que ce blog comporte désormais une étiquette Sport, mais ne vous attendez pas à ce qu'elle soit usée souvent.

vendredi, octobre 05, 2007

Pas d'bol...

Mes cocos,

Aujourd'hui, point de fiction, point de grandes pensées inutiles, point de poésie. Aujourd'hui, nous allons nous pencher sur quelques anecdotes réelles n'ayant d'intérêt que parce qu'elles me sont arrivées personnellement (par conséquent, si vous ne vous intéressez qu'aux versatilités que je déverse irrégulièrement ici, et pas à celui qui les fait, vous pouvez vous abstenir de lire ceci). Je profite en ce moment même de ce que Carrefour de Lodéon passe pour vous faire signe, et vous indiquer que je ne suis ni mort, ni à l’agonie, ce qui rassérénera probablement un ou deux d’entre vous… J’en profite pour rajouter qu’il est doux d’écouter cette fabuleuse émission en toutes circonstances, et qu’écrire tout en écoutant, et accessoirement en mangeant un gros sandwich au vacherin, si ce n’est la définition du paradis, ça y ressemble, mais je m’égare, je m’égare…
Alors... Aujourd'hui était un vendredi comme les autres. Je me levai tard, n'ayant qu'une séance de travaux pratiques à surveiller de midi à deux heures, et je me préparai pour arriver au bureau à 11 heures, pour préparer quelques petites choses, et dire bonjour à mes collègues. Alors que j'attendais la première de mes ouailles supposées présenter un exercice, je reçus un appel, sur mon portable, de mon collègue et ami Marek (qui jouera aussi, plus tard un rôle dans cette histoire, pour laquelle je m'excuse encore une fois de la navrante banalité). Marek me demanda le numéro de la salle dans laquelle mon cours avait lieu. Ignorant complètement ce genre de détail, je posai immédiatement la question à la cantonade, qui fut incapable de me répondre. N'écoutant que mon courage, je me rendis à l'entrée de la salle pour en transmettre le numéro à Marek. Ma fameuse étudiante n'ayant pas mémorisé la salle, et devant présenter sa série, s'était rendue, la pauvresse, à mon bureau en espérant y trouver quelqu'un qui saurait lui indiquer l'endroit. Cette petite anecdote n’a rien ni d’édifiant, la morale qu’on pourrait en tirer est inexistante, si ce n’est peut-être pour souligner qu’à quoi ça tient en fait, la vie, les trucs, quand même…
Je vous passe le reste de la session, qui se passa bien. Par la suite, j’avais promis à mon collègue et ami Marek (ah, vous voyez, je ne vous prends pas en traître, j’avais dit qu’il reviendrait) de les ramener, lui, quelques livres, ainsi que l’auguste fauteuil de bois qu’il avait naguère récupéré lors d’un débarras pour en faire le trône depuis lequel il siégeait et prodiguait conseils et ancestrale sagesse polonaise lorsqu’il venait travailler, tel un monarque médiéval sous un orme, en vieille ville (où il vit), et en voiture (parce que c’est lourd).
Nous nous dirigeâmes donc vers son petit pied-à-terre, déposâmes notre fardeau, puis j’allai parquer mon auto, n’omettant pas de mettre des sous dans le parcmètre et de disposer le petit papier sous mon pare-brise.
Marek vient d’acheter une malle de voyage du début du siècle, grande d’un mètre cinquante, peut-être. Elle se tient debout, est de cuir brun-bordeaux, rehaussée par la patine des ans ainsi que de gros clous de cuivre. Lorsque l’on se décide à l’ouvrir, on y découvre, à droite, quatre ou cinq tiroirs, et à gauche une penderie télescopique, qui permet à un gentleman quelconque de pendre son costume, ses chemises et, lorsqu’il est à l’arrêt, de les laisser s’aérer. Dessous, il y a une boîte à chaussures, que l’on peut aussi faire pivoter pour remettre lesdites chaussures dans une position normale. C’est un fort beau meuble, pas entièrement pratique car manquant de roulettes, mais possédant un charme indéniable. Une fois la malle suffisamment admirée, nous sortîmes boire un verre, à l’Eléphant Blanc, dont la terrasse, si elle ne s’ouvre pas sur son huis, en est si proche qu’on pourrait appeler le lieu Chez Marek. Nous devisâmes un moment, quand soudain, entrée pour ainsi dire de nulle part, arriva une montagne d’homme. On eût dit qu’il n’était pas vraiment réel, tellement il ressemblait à une de ces créatures mythiques, géant, ogre, troll peut-être. Je l’imaginai immédiatement sur un champ de bataille, armé de quelque massue ou énorme jambon, distribuant maints et maints coups, assommant ses adversaires en tonitruant un terrifiant rire gelant les hommes les plus aguerris dans leurs chausses. Il commanda un panaché et s’assit à une table toute proche. J’ai dit qu’il ressemblait à une créature mythique, peut-être dois-je rectifier : si ce n’était pour son costume noir rayé.
Car, peut-être les plus au fait des choses lausannoises l’auront déjà supputé, cette créature gigantesque n’était nul autre que Monsieur Brélaz, le syndic (pour les moins au fait, ça veut dire maire) de Lausanne.
« Jet Set », lâchai-je à Marek, qui pouffa. Puis nous ne prêtâmes plus attention à lui. Enfin, je regagnai mon auto, enlevai mon petit papier sous mon pare-brise, et posai à tout hasard mon regard sur l’heure limite. Puis je regardai sous mon rétroviseur. Pour y trouver une jolie petite feuille rose m’enjoignant, assez peu poliment d’ailleurs, de payer à la ville de Lausanne la somme de quarante francs. J’étais absolument certain d’avoir payé, et puis je me rappelai soudain que l’impression m’avait semblé particulièrement rapide. Je soupçonne donc la dernière personne à avoir utilisé la machine de n’avoir pas pris son ticket, et de me l’avoir laissé. Le numéro de la place était faux, ainsi que l’horaire. Pas de bol.
Cette après-midi est une après-midi comme les autres. Rien ne la distingue de ses semblables, mais en vous la narrant elle durera plus longtemps, j’espère. Marek est un bon ami. Il part bientôt travailler à Delft, en Hollande. J’en profite un maximum, pour quelques semaines encore. Comme quoi il n’y a pas que les photos qui sont souvenir.

Sur ce, mes chouchous, je vous laisse. Lodéon a fini, le sandwich est fini, l’histoire continue pour ses protagonistes, et ses lecteurs/trices. Je vous embrasse !

vendredi, septembre 21, 2007

Blanche

Ma très chère petite fille.
Tu dois me haïr aujourd’hui, me haïr autant que je me méprise moi-même pour ce que je t’ai fait. Je n’ai aucune excuse pour tout ce que tu as dû subir par ma faute. Et aujourd’hui, alors que j’ignore le temps qu’il me reste à vivre, alors que ces années amères ont rouillé ce qu’il restait de mon humanité, je me dis qu’il est temps pour moi de m’amender, du moins en paroles. Peut-être me liras-tu quand tu trouveras cette lettre, peut-être pas. Mais cette culpabilité qui me ronge, et continuera à me ronger jusqu’à ce que la mort m’emporte, doit être étalée devant toi au grand jour, pour que tu comprennes, pour que tu saches que si je n’ai jamais activement cherché à te faire du mal, je suis coupable de la plus grande lâcheté.
Quand ta mère est tombée enceinte, nous ne pûmes contenir notre joie. Depuis le temps que nous attendions un enfant ! Nous étions heureux, tous les deux, mais si seuls, si seuls et sans avenir. Depuis l’annonce de son état à ta mère, tous les matins, nous faisions des plans, nous imaginions ce que ton futur serait, une fois que nous serions partis, nous te souhaitions tant de choses, tant de projets, tant de petits riens aussi, de ceux qui peuplaient notre quotidien, de ces petits je-ne-sais-quoi qui font que la vie mérite d’être vécue. Je repense parfois, quand ma haine de moi se calme un peu, à ces moments passés avec ta mère, à son sourire calme et à ses yeux brillants. A nos douces étreintes le soir au coin du feu. La grossesse se passa sans difficultés, et nous nous réjouissions chaque jour un peu plus de te rencontrer, de te montrer à quel point nous t’aimions déjà. Et comme nous allions t’aimer encore, une fois que tu serais avec nous ! Comme nous allions te chérir !
Le jour de l’accouchement fut le plus terrible de ma vie, le plus beau aussi. Jusqu’au tout dernier moment, tout se déroulait parfaitement, puis la sage-femme tout à coup s’est mise à transpirer et à s’affairer de plus belle. J’étais complètement dépassé. Je suis resté debout, un peu à l’écart pour la laisser travailler, les cris de ta mère étaient devenus déchirants, inhumains, et j’ai su à ce moment que tout était fini pour elle. Elle est morte quelques secondes après ta naissance, en me serrant la main. Ses derniers mots furent ceux de ton nom. Elle n’a pas eu le temps de me faire jurer de prendre soin de toi, ce pourquoi je ne suis pas parjure. Mais je lui ai failli chaque jour depuis. Le temps lui a manqué pour me mettre face à ma lâcheté, pour me dicter la conduite de l’homme caché derrière la loque que je devins par la suite.
Je me retrouvais seul avec toi. Déjà, tu étais la plus belle des petites choses que j’avais jamais vues. Tu avais ses yeux, ses lèvres rouge sang, ses cheveux noirs de jais. Tu grandis pendant 18 ans pour devenir de plus en plus son image. Moi, j’ai sombré. Plus rien ne semblait me retenir à la vie, à part toi, mais tu me faisais tellement penser à elle que te voir m’était à la fois un pur bonheur et une insupportable douleur. Et c’est là ma première lâcheté, de ne pas avoir su prendre mes responsabilités, de ne pas avoir réussi à me hisser au-dessus de ma peine. J’ai cherché à déléguer la responsabilité qui m’incombait, avec les résultats désastreux que je t’ai par la suite forcés à vivre. Lorsque je me suis remarié, je me suis dit qu’il te fallait quelqu’un qui puisse souffrir de te voir sans être déchiré de l’intérieur, quelqu’un qui saurait t’apporter un soutien, un sourire, une conversation n’étant pas parsemée de soupirs mélancoliques. Le remède fut pire que le mal. Elle était très belle, elle avait l’air équilibré des gens qui savent ce qu’ils veulent. Elle m’aimait d’un amour profond, malgré ma médiocrité. Je n’eus pas à la courtiser longtemps, ce qui valait mieux, dans la mesure où je ne désirais rien d’autre qu’une personne à qui te confier. Et, pendant un temps, elle s’acquitta de cette tâche avec rigueur. Je crois même qu’elle t’appréciait, qu’elle goûtait ta compagnie. Mais jamais je n’ai su la regarder comme elle l’aurait mérité, jamais je n’ai su la remercier pour le rôle que je lui avais fait prendre. J’aimais tellement ta mère, je vivais tellement dans le passé, j’implorais son nom dans mes crises de désespoir, j’implorais ton pardon aussi, pour l’homme que j’étais devenu. Elle était devenue la reine d’un roi de paille, d’un roi flétri par le passé et ses fantômes. Elle tint bon pendant toutes ces années, espérant chaque jour un peu plus que je regarderais enfin le présent dans les yeux, que je la verrais elle pour ce qu’elle était. Mais sa beauté se fanait, comme le font toutes les belles choses, en leur temps. J’ignorais pour qui elle désirait tant être la plus belle, ou feignais de l’ignorer. Peut-être craignait-elle, à cause ma distance, que jamais plus je ne la désirerais. Jamais je n’ai refusé sa couche. Mais j’étais si souvent ailleurs, en d’autre temps, en d’autres lieux et, par lâcheté encore, au lieu de saisir la vie qui s’offrait à moi, si différente soit-elle, je l’ai délaissée. Ta propre beauté quant à elle brillait de plus en plus à travers le voile de ton enfance, que tu laissais déjà derrière toi. Et le doute s’emparait de ma nouvelle femme et ses tentacules glacés commencèrent à enserrer son cœur. Et sans même m’en apercevoir je l’ai entraînée dans ma folie. Je la revois, contemplant les effets du temps sur son si joli visage, les rides soucieuses, les yeux bouffis par les larmes. Pendant ce temps, j’étais au fond d’un verre. J’avais coupé tout lien avec toi, je m’étais rassuré que tu étais en de bonnes mains, que rien ne pouvait plus t’arriver, que mes responsabilités envers toi avaient disparu. Trop heureux de pouvoir me détruire, la tête haute et les mains propres, je t’abandonnais sans même m’en apercevoir entre les griffes d’un destin tissé par deux fous.
A ta majorité, à ta disparition, j’ai sombré encore plus profond, si c’était possible. Lorsqu’elle m’apporta la nouvelle, je la maudis, je l’insultai, je brisai en elle les derniers bastions d’espoir. Puis je m’enfermai dans un mutisme et une déchéance totaux. Je ne quittais ma chambre que pour boire, et manger parfois. Je haïssais ma reine qui, peut-être pour me plaire, sans doute par humiliation et rancœur, devint la créature de folie et de sang que mes yeux lui renvoyaient. Lorsqu’elle me demandait qui était la plus belle, je lui répondais, à chaque fois, que c’était toi, que je croyais morte et enterrée.
Je sais aujourd’hui ce qu’il advint de toi pendant ce temps. Tu as fait ce que tu devais faire pour survivre. Tu as usé de ta bonté pour te faire des amis, tu as su te rendre utile dans des tâches dont ta naissance et moi-même aurions dû te préserver à jamais. Mais je sais que tu attendais le bon moment, pour revenir. Des rumeurs courent sur une jeune personne masquée qui pendant ces années chercha à rassembler une armée de mercenaires, qui se battit contre un dragon gardant un fabuleux trésor pour les payer, qui passa la nuit dans une maison hantée pour en délivrer les esprits de ses propriétaires. Tes petits hommes de main parcoururent les contrées lointaines pour y trouver des compagnons, notamment un jeune prince dont tu fis un de tes lieutenants. Il s’était imaginé prendre les rênes de ton armée, et ce n’est qu’après un duel d’une journée entière que, enfin tombé au sol, il t’accorda son allégeance. D’après les dires de certains, tu en as fait ton élève, ton confident, et ton amant. J’entends qu’il est encore un peu vert, mais que son cœur est sincère, et sa lame, précise. Par deux fois, alors que ma reine venait te narguer dans ton quartier général, tu dus te faire passer pour morte. Et la dernière fois, alors que ton plan était finalisé, que tes armées allaient marcher sur le royaume pour en réclamer ton droit, alors que ma reine était si bien grimée qu’elle en était devenue méconnaissable, elle t’a, par la ruse et la fourberie, finalement fait tomber. Et pendant ce temps, je vivais encore à travers le goulot d’une bouteille.
Tout le pays par-delà les montagnes d’airain vint à ton enterrement. Tu fus enchâssée dans ton cercueil de verre, les armes à la main, les poings serrés, comme tu avais vécu tes derniers jours, ta beauté augmentée par la force de tes convictions et l’âpreté des combats passés. Ivre de douleur, ton amant s’est jeté sur ton cadavre, et en a délogé le morceau de pomme empoisonnée. Tous ont crié au miracle, et tu t’es, une fois encore, relevée. Tu as, une fois encore, pris le contrôle de ton destin. Tu as repris le contrôle de ta bande de ruffians et tu as marché, la tête haute, sur tes terres. Tu n’as montré aucune pitié envers celle qui avait tenté de te faire disparaître. J’aperçois encore ce qui reste de sa tête par la fenêtre de ma chambre. Vos noces ont été célébrées alors que vous étiez encore rouges de sang séché. Et maintenant tu viens ici. Je ne sais pas ce que tu veux, mais je ne saurai pas quoi te dire, et maintenant que j’ai couché ces mots sur le papier je tremble de me montrer à toi comme la larve immonde que je sais être devenu. Garde la dague que tu trouveras dans mon cœur, c’est le seul souvenir que j’ai gardé de ta mère. Ce sera mon cadeau de mariage. Malgré mon état misérable, malgré mes inaliénables fautes, malgré ma lâcheté et ma bassesse, sache que je vous ai aimées toutes les deux autant qu’un homme n’a jamais pu le faire, que je suis fier de toi, que tu as dépassé toutes les espérances d’un père, et que je repenserai à toi chaque seconde que je passerai en Enfer. Mais j’entends déjà les bottes de tes hommes monter l’escalier, et mon destin m’attend. Je t’embrasse, chère enfant. Puisses-tu un jour oublier ma traîtrise. Adieu.

jeudi, septembre 06, 2007

On writing

Today, I discovered that Maud, who's a good friend of Reb, has a blog, where she has posted two examples of her writing. It is always hard to judge these blog thingies, for they are both forums and diaries, showcases and windows to the soul. The latest text is pretty good, if you're into that sort of thing, the style is acceptable, sometimes brilliant, sometimes easyish... You kinda wish she'd grow up as a writer, because there's definitely something there, although sometimes deeply hidden.
Which brings me to my point : It has been pointed to me, recently, regarding something I'm working on lately but haven't shown to anyone save a select few, for reasons which I'm not even sure I can explain, it has, as I was saying before digressing, been pointed to me that my writing has improved.
I am not saying this to brag, I hadn't even noticed, I'm still not completely convinced it's true. But let us, for the sake of argument, consider this for a second : how have I improved ? In the last few years, I have been writing on and off pretty much all the time, for two very different purposes : the obvious first is the academic writing, which is basically the core of my job, producing texts of various lengths to explain what I think or have been thinking about. The second is what you read here on this blog, and have read in the green file I had in high school, or whatever. The interesting point is this : Be it in the academic field, or here in my various musings and stories, the way for me, and, I believe, for anyone who writes, to improve is to have written. If my latest work is indeed better than my previous musings, it is not because I have toiled and suffered more over it, if my thesis project is now found good by my boss, it is not because I've given it a lot more thought. In both cases, I achieved more, I hit closer to my goal (be this goal Science or Art), simply by having worked on something quite different. This is comforting on several levels :
First, it gives me hope that one day, despite my inherent laziness and insecurities, I might finish something of a reasonable length, and, maybe, consider publishing.
Second, it makes me feel better about not finishing some of the things I've abandoned for the time being, although with the hope I will finish it someday, don't lose hope.
Third, it may mean that someday I will be able, in my academic writing, to write things once and for all in the first go, which will save time.

All in all, I'm pretty glad about this great discovery. Don't get me wrong, I'm still plenty doubtful about my true potential as a writing person, but it has given me a clearer perspective on my career and on the things I enjoy doing. I hope I haven't bored you guys too much, and wish you all the best. And I hope this little post will have reassured those who maybe thought I'd not been working on more stories.

mardi, août 07, 2007

A little treat for my friends


Hello boys and girls, this is your favorite feathery friend, live from Lausanne, and kicking it old school today.

I have brought you a present. Something nice for all you boys and girls. This piece is a reorchestration of one of my favorite anime openings ever (a piece, I'm glad to say, that I was able to perform quite correctly at Pop'N'Music, back in Japan, just my little way of telling you I rock...)

So, it is my great pleasure, without further ado to let you enjoy a ska-punk version of... Well, if you have to ask, it's not worth the bother. Enjoy :

mercredi, août 01, 2007

Good news, everyone !

Il y a des jours comme ça où tout semble resplendir. Le ciel est bleu, les oiseaux chantent, c'est un jour férié, j'ai bientôt un projet de thèse (oui ce sera fini à la fin de la semaine), et le titre de TF1 a pris 14% dans les dents. On devrait pas s'en réjouir, y a sans doute des gens sympas là-dedans qui vont -on sait comment ça marche- se faire virer. Mais quand même, le temps de cerveau diponible perd un peu de sa valeur. Encore un peu et il ne vaudra plus rien : on sera obligé de remplir tout ça, pour rentabiliser ! Réfléchissez-y les gens ! Des cerveaux pleins ! C'est pas une bonne nouvelle, ça ? Allez gros bisous à tous !

mercredi, juillet 25, 2007

La Peur

Spéciale dédicace à Bourgui qui m'a précédemment trouvé Lovecraftien, là je me lâche carrément :

La Grande Bête habite une caverne, au fond de la vallée.
Cette nuit, la lune lui chatouille les écailles de ses rayons et elle
S’ébroue. Elle se dresse sur ses pattes, elle hurle. Les villageois au loin
Se serrent, se répètent « C’est le vent, c’est le vent, ce n’est rien. »
Les épouses rappellent leurs maris, les parents visitent leurs enfants
Dans leurs lits. Ceux-ci se tiennent sans bouger, ne font pas de bruit,
Semblent morts. La peur engendre la peur, et cette nuit la Bête
Doit se repaitre. Les volets claquent, les portes...

La Grande Bête, réveillée, s’élance, du fond de la vallée.
Cette nuit, elle s’envole, au-dessus des nuages, des forêts
Elle obscurcit le ciel, rugissante, battant les arbres et les pâturages
De ses grandes ailes membraneuses. A l’air libre, son cri résonne
Sans entrave. Les villageois sentent les murs trembler, du plâtre tombe
Des toits, recouvrant tout d’un linceul blanc. Blancs sont
Les murs. Blancs sont les gens. Blanche est la peur, et cette nuit la Bête
Est en chasse. Les enfants pleurent, et crient.

La Grande Bête guette le village, ses serres plantées
Cette nuit, elle hume l’air, ses naseaux frétillent. Elle sent
L’odeur du sang, l’odeur de la peur, l’odeur des enfants.
Rien ne bouge plus. La scène est figée. On entend plus que
Ses feulements. Un, deux. Un, deux. La lune est claire. La Bête,
Presque déçue, s’élève de nouveau. Son envol effleure le clocher,
Les toits. Les villageois prient leur dieu. Ils se serrent les uns contre
Les autres. Mais la peur reste. Ils savent. Ils savent que leur cauchemar
Jamais ne finira. Un jour, bientôt, la Bête reviendra.

'No (je veux être un Lovecrate)

mercredi, juillet 11, 2007

Bonsaï

Et voilà une petite chose qui m'a beaucoup amusé. Je sais pas s'il y a une suite ou non, encore. Ca se tient déjà pas trop mal comme ça, peut-être ?

Flic-floc, la pluie tape sur les carreaux d’Emilie Senont, doucement tout d’abord, puis de plus en plus violemment. Emilie a vérifié déjà plusieurs fois que ses douze fenêtres étaient bien fermées. Rien ne doit briser la pureté de son logement. Elle a la phobie des taches, le dégoût de la saleté, et la haine des acariens. Elle est la seule personne, à sa connaissance, à utiliser exclusivement les patins et à forcer ses rares invités à en faire autant. Elle est la seule personne, à sa connaissance, à faire la poussière matin et soir. Elle est la seule personne, à sa connaissance, à laver et repasser ses rideaux une fois par mois. Son appartement semble inhabité, bien que constamment en ordre, comme si le temps n’y passait pas. Outre le réduit qui occupait ses pensées juste avant l’orage, elle a deux grandes chambres, bien qu’une seule lui serait nécessaire en toute circonstance. Un immense séjour occupe un coin de l’immeuble. Il est très lumineux. Le soleil, sur les bibliothèques d’acajou, donne à la pièce des tons chauds, très organiques. Elle n’en profite jamais, ou presque. Sa salle de bains, toujours éblouissante, est grande et fonctionnelle. Sa cuisine, de même. Elle est la seule personne, à sa connaissance, à utiliser le vinaigre d’alcool au premier millimètre carré de calcaire. Elle est la seule personne, à sa connaissance, à se coucher dans un lieu rigoureusement identique à celui dans lequel elle s’est levée. Elle en retire une certaine fierté, voire, lorsqu’elle est en présence de nuisibles voisins, ou autre racaille, la preuve de sa supériorité morale et de son inébranlable force de caractère. Emilie vit seule, la seule entité vivante (hormis cette chose, dans le réduit, mais est-elle vraiment vivante ?), en plus d’elle, est sa collection de bonsaïs. Une vieille connaissance lui a ramené le premier d’un voyage au Japon. Elle s’est tout de suite attachée à la petite plante torturée : la discipline de fer imposée à la matière organique brute à l’aide d’incisions millimétrées a tout de suite éveillé son intérêt. Elle s’est renseignée, à gauche, à droite, sur les diverses techniques et soins à apporter à ce genre d’expérience, puis elle a acheté d’autres boutures, d’autres pots, de nouveaux engrais, de nouveaux plants. Elle peut passer des heures à guetter sur ses petits amis les signes d’une excroissance nouvelle, d’une racine tordue, d’une tentative désespérée d’accéder à la lumière, au sol fertile. Rien ne lui fait plus plaisir que de passer du temps dans la petite pièce qui lui sert d’arboretum. La pièce ressemble à une jungle lilliputienne, une vieille ruine prise par les lianes, si ce n’est par sa propreté exemplaire. Emilie sort peu, reçoit rarement et seulement pour le thé. Elle n’a pas d’amis, seulement des connaissances. Les gens la trouvent étrange et guindée. Elle fait un peu peur, en vérité. Ses idées sont très arrêtées, sur tous les sujets. Elle s’est fâchée avec ses rares amies de jeunesse. Ses fréquentations sont donc limitées à des femmes de son âge facilement influençables, ou qui ne semblent capables de parler que du temps qu’il fait. Elles viennent chez elle, prennent le thé, et s’en vont rapidement. Néanmoins, Emilie n’en conçoit pas d’amertume. Elle a ainsi plus de temps pour s’occuper des trois domaines qu’elle apprécie le plus : son antre, son bonsaï, et la chose dans le réduit. Elle a lu des dizaines de livres à son sujet. Elle s’est replongée dans les lectures du catéchisme de ses jeunes années, ancien et nouveaux testaments, exégèses diverses. Rien ne l’a aidée. Elle s’est tournée vers des sources moins conventionnelles, le Petit et le Grand Albert. Elle a découvert certains détails, mais rien de plus que ce que la chose lui a déjà appris. Elle est donc en ce moment face à un problème : la chose habite son espace, pollue son chez-elle et ses pensées, s’insinue dans la perfection entropique de son existence. Elle a travaillé si dur, elle a tant donné pour son confort, pour sa sérénité, et ce parasite ruine tout. Elle en désespérerait si elle n’était pas toute autant emplie de rage. La chose (elle se refuse de l’appeler par son nom, ou par ce qu’elle prétend être) ne semble pas en mesure de partir, ou ne pas le souhaiter. Emilie a essayé, une fois, de raisonner avec elle, en vain. Alors, depuis, elle la torture du mieux qu’elle peut. Puisqu’elle se montre si peu coopérative, elle n’a qu’à souffrir. Elle emporte avec elle, chaque fois qu’elle se rend à l’église, une petite flasque qu’elle remplit au bénitier. Puis elle rentre chez elle, se saisit d’une pipette dont elle se servait à une époque pour préparer sa concoction de fleurs de sureau, ouvre la porte du réduit, fait lentement couler quelques gouttes sur la forme prostrée au sol, et attends les cris, les obscénités et les menaces. Elle brûlera dans les flammes. Elle sera lacérée par des fouets d’épines. Elle sera écartelée, violée, crucifiée, puis remise à neuf pour vivre à nouveau les mêmes tourments. Elle connaîtra mille souffrances pour l’éternité. Elle sera à sa merci un jour. Elle est, désormais, habituée. Elle connaît sa chanson. Elle a eu un peu peur, au début. Mais quand elle s’est rendu compte que la chose était impuissante, elle s’est apaisée. Et depuis, elle est devenue la tortionnaire de cette créature à la peau grise et informe, griffue et sale, échevelée et inhumaine. Et, si le sujet est pour elle un pensum, elle en retire quand même une satisfaction qu’elle ne saurait expliquer, peut-être plus encore qu’avec ses petits arbres. Elle ne sort presque plus jamais de chez elle, tellement cette présence lui est indispensable, tellement elle se languit, lorsqu’elle en est loin, de sa victime, de son trésor. Au commencement, elle se sentait justifiée dans sa sainte colère, comme investie d’une mission divine. Peut-être Dieu la testait-elle de cette manière ? Peut-être voulait-Il, dans Son infinie sagesse, faire d’elle l’une de Ses Elues, une guerrière sainte de la lutte ultime entre le Bien et le Mal ? Mais un jour, alors qu’elle contemplait une fois encore les chairs boursoufflées de la chose, celles sur lesquelles elle avait travaillé à l’instant, elle se rendit compte que ce n’était que le hasard, et lui seul, qui les avait ainsi réunis. Sa fierté diminuée, elle n’a pas changé d’attitude envers elle. Au contraire, si le hasard a fait d’elle la gardienne de ce secret, elle n’en sera que plus enthousiaste, elle n’en mettra que plus de cœur à l’ouvrage. Elle s’applique, donc. Elle a un carnet dans lequel elle note les effets de ses différents traitements sur la chose. Elle ne les montrera jamais à quiconque, mais elle agit sur son petit protégé avec la méticulosité qu’elle réserve à ces tâches qu’elle juge importantes et révélatrices de son caractère. Et le soir, dans son grand lit, elle tend l’oreille, cherchant les soupirs, les grognements, les gémissements. La plupart du temps, elle s’endort sur un sourire.

mercredi, juin 20, 2007

When worlds collide

Remember. In 1905, Max Weber wrote one of the seminal works in sociology. Now, here, you can finally discover (thanks to the Surrealist) what would happen if Weber turned his brilliant work into a Hollywood Blockbuster :

  • I always say a kiss on the hand might feel very good, but a protestant ethic lasts forever.
  • I have a head for business and a protestant ethic for sin.
  • Well, here's another nice protestant ethic you've gotten me into!
  • I see dead protestant ethic.
  • Everybody! Everybody wants a piece of protestant ethic!
  • Perfect organism. Its structural perfection is matched only by its protestant ethic.
  • I love the smell of protestant ethic in the morning.
  • First rule of Protestant Ethic Club is - you do not talk about Protestant Ethic Club.
  • Hello. My name is Inigo Montoya. You killed my protestant ethic. Prepare to die!
  • My mama always said life was like a box of protestant ethic.
  • When I invite a woman to dinner I expect her to look at my protestant ethic. That's the price she has to pay.
  • That protestant ethic is the pure, physical manifestation of Sadako's hatred.
  • You know the difference between you and me? I make protestant ethic look good.
  • Fear leads to anger. Anger leads to hate. Hate leads to protestant ethic.

So remember : "Every time someone says 'I do not believe in protestant ethic', somewhere there's a capitalist that falls down dead."

lundi, juin 11, 2007

Mes chers compatriotes, mes chères compatriotes,

Nous voici donc, à la lumière des législatives, à l’aube d’une jolie période qu’on nous annonce, comme le dit le Grand Intellectuel Enrico Macias, « Rien que du bleu, rien que de bleu ». Bon. Rien que du bleu. C’est cool, le bleu, c’est le ciel, c’est les M’n’M’s bleus, c’est le curaçao, c’est le jeans aussi. C’est cool les jeans. Les M’n’M’s on en parle même pas, surtout les bleus. Bon, bon. Mais c’est pas forcément ce bleu-là qu’on va avoir chez nous en immense majorité. Chez nous, le bleu va avoir le goût de la défaite. Il va avoir l’odeur du pognon. Il va sonner comme Johnny et Doc Gynéco, comme Mireille Mathieu, aussi. Il va avoir les jolies images de la télévision. Il va avoir la douceur du velours et de la soie pour les uns, la dureté du kevlar et du béton pour les autres.
On a un peu les jetons. C’est facile, « on a ». J’ai un peu les jetons, en fait. D’un autre côté, j’imagine que ça va être bien ! Après tout, j’ai entendu à la radio une dame qui disait qu’avec notre nouveau Président, la situation, scandaleuse, oui scandaleuse ! qui voyait son plus jeune fils tutoyer son instituteur n’a plus aucune chance de se produire ! Youpi ? Mais oui youpi ! Plus de tutoiement des instituteurs, plus de tutoiement des assistants à l’Uni non plus, là j’aurai de l’Autorité, quand mes étudiants ne me diront plus « tu », quand mes étudiants n’oseront plus répondre à mes questionnaires d’évaluation « J’aimerais qu’il s’habille mieux » (à la quasi-unanimité), quand le petit jeune avec qui l’autre jour j’ai débattu sur le réductionnisme boira juste mes paroles comme la Vérité qui vient forcément de ma bouche, puisque je suis, comme les valeurs prônées par la droite depuis qu’elle existe ou presque, au-dessus. J’ai un statut. Je dois respect et obéissance à mon patron, certes. Mais je suis aussi dans le corps intermédiaire. C’est comme ça qu’on nous appelle, les assistants, j’imagine que nos corps sont ni trop maigres, ni trop gros, intermédiaires, quoi. A moins que ce soit une question de hiérarchie. On a un patron, mais on est des profs, un peu, aussi. On en apprend tous les jours, mais on enseigne aussi à d’autres. Moralité de cette géographie sociale un peu rapide : les valeurs, celles de cette dame en tout cas, elles vont me protéger. Elles vont me donner la Force, elles vont me donner la Légitimité, Elles vont me donner, n’ayons pas peur des mots, l’Autorité. Fini le besoin de respect envers mes ouailles, plus besoin ! Finies, les questions du genre : « Vous avez trouvé autre chose, vous ? ». A partir du Bleu Infini, ce sera « J’m’en fous ». Et je m’en réjouis. Je m’en réjouis parce que je préfère qu’on ne me contredise pas, je préfère qu’on ne me coupe pas, je préfère qu’on m’écoute, avec Respect.
Avec le retour aux Valeurs, on dit n’importe quoi. Le retour aux Valeurs, c’est une valise dans laquelle on peut mettre le droit à la vie, le droit à la mort, le droit à la paresse, le droit des femmes à disposer de leur corps, le patriotisme triomphaliste, la ségrégation stricte des races, des classes, l’aliénation obligatoire, le contrôle policier totalitaire, la Discipline comme premier principe, yadda, yadda, yadda (parce qu’aujourd’hui moi aussi j’ai envie d’être ethnique). Mais heureusement on choisira avec notre Président les Bonnes Valeurs. Il les choisira pour nous. Et celles qui ne passent pas, que je propose d’appeler les valeurs baskettes (« Non, désolé, pas d’baskettes »). (En plus d’être ethnique, je fais dans le néologisme).
Tout le monde (enfin, tout ceux qu’on entend) dit : depuis la chute du mur, c’est la fin des idéologies. Peut-être que c’est ça, aussi, qui fait peur à tout le monde. L’insécurité que tout le monde croit voir partout, c’est peut-être juste la peur de ne plus vivre dans l’époque des idées, la peur de ne plus avoir rien à faire, la peur de ne plus avoir à lutter, pour soi ou pour les autres, la peur de l’ennui en fait. Ca, je connais. La peur de l’ennui, c’est celle qui me fait prendre un livre, une manette de PlayStation, un DVD, etc. dès que je sens que j’ai dix secondes devant moi. Je connais, je comprends, je suis prêt à pardonner. Oui, là je voudrais préciser un truc : je suis prêt à pardonner aux connes, aux cons, qui ont voté Jeans’n’Johnny, et qui s’apprêtent à le refaire allégrement dimanche prochain. Je suis prêt à pardonner aux connes, aux cons qui n’ont pas voté en mai et/ou qui n’ont pas voté dimanche. C’est pas entièrement leur faute. On les a roulé dans la farine. On leur a menti. Bon, le plus flagrant ces temps-ci, c’est les démentis sur un certain appartement à Neuilly, c’est les retards du chiffre officiel de chômage, malgré les récriminations même de ceux qui les produisent, et du rapport sur la police dans le 9-3, mais ça ne s’arrête pas là. On leur a dit que « quand même, quelqu’un qui se fait autant taper dessus MERITE d’être élu, parce que quand même le pauvre… » Ce genre de truc, soit dit en passant, me fait bien rire : Ca fait des années que la politique française me creuse l’ulcère, et personne ne vote pour moi… Je suis, nous sommes de la génération 80, à peu de choses près. C’est pendant les années 80 que nous nous sommes éveillés au monde, que la cartographie à l’intérieur de nos chères têtes blondes (ou Jaunes, ou Noires, ou de vos couleurs à vous, chers amis, chères amies) s’est dessinée. Et à l’époque on était déjà dans la fin des idéologies. Ce qui fait probablement de nous des non idéologues.
Pour votre édification personnelle, je suis allé chercher pour vous, dans le Petit Robert de la langue française, ce que veut dire « idéologie » :

1. Hist. philos. Système philosophique qui, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe s., avait pour objet « l'étude des idées, de leurs lois, de leur origine » (Lalande).

Bon, là par exemple, ok je veux bien. C’est vrai, après tout : ce n’est plus la philosophie qui étudie les idées, mais plutôt la science, depuis l’avènement de la psychanalyse d’abord, puis du cognitivisme, puis des neurosciences. Mais je ne crois pas que ce soit de ce sens qu’on parle.

2. Péj. Analyses, discussions sur des idées creuses; philosophie vague et nébuleuse.

AHA ! Là, on voit déjà mieux : C’est la fin des analyses et discussions sur des idées creuses ! La fin de la philosophie vague et nébuleuse ! Rien qu’à voir le battage médiatique autour du Loft il n’y a pas si longtemps : On n’était pas du tout dans la discussion sur une idée creuse. Les philosophies vagues et nébuleuses sont d’un autre âge : la Scientologie, le New Age, le Bouddhisme d’entreprise n’occupent jamais l’espace de débat. Le néolibéralisme, avec son commissaire-priseur omniscient et régulateur, constaté empiriquement bien entendu, ne repose en aucun cas sur une idée creuse : il repose sur la Foi ! La Foi dans un système qui a prouvé, en ‘29 déjà, alors qu’on le connaissait pas très bien pourtant, qu’on avait du mal à connaître ses risques (et donc qu’on ne faisait pas grand’ chose pour le réguler) à quel point il allait sauver le monde. Depuis ‘29, au lieu d’avoir posé des questions, d’être revenus sur certains principes, certains axiomes qui ne reposaient que sur les vœux pieux d’un bourgeois écossais du dix-neuvième siècle (qui d’ailleurs avait justement apporté, dans ses livres, une nouveauté : la rigueur scientifique dans l’étude de l’économie), on a trouvé la parade à la critique, on a trouvé la parade à l’analyse : on y a fait participer tout un chacun. Chacun d’entre nous peut, aujourd’hui, mettre son salaire dans cette grosse boîte. Certains d’entre nous, aux Etats-Unis surtout y sont contraints. Et depuis ’29, il y en a eu d’autres. Au milieu des années 80, un autre jeudi d’octobre. Au début des années 2000, un grand nombre d’étasuniens se sont retrouvés sans le moindre sou pour leur retraite suite à l’affaire Enron. Le système produit des richesses, certes. Mais il produit aussi des pauvres, beaucoup de pauvres. Et au lieu de critiquer, de réviser, d’analyser le système, on oublie juste de le mentionner. On ne discute même plus sur des idées creuses, on agit en les oubliant. Bref, plus d’idéologie au sens 2. Les idées creuses ne sont plus disputées, elles nous gouvernent, simplement.
Mais il y a un troisième sens à idéologie dans le Petit Robert :

3. (fin XIXe; vocab. marxiste) Ensemble des idées, des croyances et des doctrines propres à une époque, à une société ou à une classe. « Ces biens bourgeois que sont par exemple, la messe du dimanche, la xénophobie, le bifteck-frites et le comique de cocuage, bref ce qu'on appelle une idéologie » (Barthes).

Et là, avec Barthes, on regarde la fin des idéologies avec un œil neuf. L’ensemble des idées, des croyances et des doctrines de notre époque, malgré la chute du mur, malgré le nettoyage (de surface en tout cas) des fascismes, malgré le consensus misérabiliste dans lequel tous les médias ou presque semblent s’être engoncés, est une idéologie. Il est un consensus. Il est l’habitus, au sens bourdieusien, non pas de classe, mais de notre génération. Mais il est tellement omniprésent qu’on en oublie ce détail, pourtant constitutif, ontologique de ce que nous vivons aujourd’hui. Notre consensus, chers amis, chères amies, est une idéologie. La fin des idéologies, comme on nous l’a vendue lorsque nous étions enfants, c’était le triomphe de CETTE idéologie, celle-là même qui gagne gentiment du terrain, élection après élection. L’idéologie a gagné les présidentielles, l’idéologie gagnera les législatives (elle les a déjà à peu près gagnées). L’identité nationale© est une idéologie. La toute-puissance du marché est une idéologie. La croissance comme nécessité est une idéologie. Et le retour aux valeurs est aussi une idéologie. La méritocratie est une idéologie. Idéologies contre lesquelles il convient de lutter dans les urnes, au moins. Une idéologie à laquelle il suffirait déjà de réfléchir gentiment. Bonne journée les gens, et aux urnes citoyen·nes, il y a moyen de limiter un peu les dégâts !

vendredi, mars 09, 2007

Lyrana(2)

A l’époque, un grand nombre de caravanes circulaient dans les Terres de Feu. Al-Keerna servait de plaque tournante, étant reliée par bon nombre de routes commerciales à la plupart des Empires et Royaumes du continent. Ceci s’avérait pratique, non seulement pour ses habitants vivant du commerce, mais aussi pour ceux et celles qui, comme moi, choisissaient une vie moins réglementée par les édits des magistrats du Calife (loué soit le commandeur des croyants !). Il n’était d’ailleurs pas rare que, lors du départ d’une caravane, l’on croise plus de personne à l’air résolument douteux que de marchands patentés avec qui l’on aurait fait des affaires quelques jours plus tôt. La situation n’étonnait plus grand’ monde, d’ailleurs, et rendait même service aux marchands : les malandrins les moins discrets payaient cher leur droit de passage, quant aux autres (dont vous aurez compris que je faisais partie), ils se faisaient discrets, tout en étant capables, pour la plupart, de défendre un convoi en cas d’attaque de pillards. Les caravaniers, donc, bénéficiaient d’un solide contingent de personnes dotées de talents peu communs dans leur milieu, et qui de plus ne demandaient que rarement paiement. Rarement, voire jamais, car s’ils avaient montré trop d’exigences envers leurs associés de fortune, ils auraient pu se retrouver, par un malheureux hasard, dénoncés aux autorités de leur lieu de destination, voire « égarés » dans le désert, destin des moins enviables s’il en est. Une sorte de consensus avait donc émergé de cet arrangement, et la philosophie des uns comme des autres était la cohabitation polie.
Après avoir semé les gardes, je décidai donc de rejoindre l’une de ces caravanes. Je me préparai tout d’abord pour mon départ : empruntant une ruelle, je saisis au hasard une djellaba de teinte rouge clair semblant correspondre à ma stature, un keffieh blanc et bleu très digne, ainsi qu’un foulard rouge que je nouai à ma taille. Prenant une profonde inspiration, je modifiai la forme de mon visage, me donnant un air patibulaire de vieux renard des sables. Ma magie est grossière, certes, mais particulièrement efficace, et elle m’a sauvé la vie bon nombre de fois. Ensuite, je m’approchai de la sortie de la ville. Avisant un marchand seul, traînant derrière lui un seul dromadaire, je l’attirai dans une ruelle contre la promesse d’une affaire, l’assommai, et saisit la bride de l’animal. Je jetai un œil sur mon butin : rien de répréhensible, seulement de belles étoffes teintes. Satisfait, je me rendis aux portes de la ville. Le chef caravanier était le légendaire Shah-Zaman, dont on racontait qu’il était né dans une caravane, à même le dos d’un dromadaire, et qu’il n’avait jamais passé plus d’une nuit en-dehors du désert. C’était un petit homme trapu, vêtu de bleu poussiéreux, de teint presque noir tellement il passait de temps au soleil. Sa peau était sèche comme le désert et prenait la texture du parchemin. Il était glabre, et l’on racontait que tous les matins il se rasait sans jamais descendre de sa monture. Il était réputé dur en affaires, intraitable au sujet de la sécurité des membres de sa caravane, immodérément loyal, et impitoyable avec les rares bandits qui osaient encore, par ignorance ou surabondance de témérité, s’attaquer à ses convois. Je m’approchai de lui pour lui demander humblement la permission de me joindre à son cortège. Il me dévisagea des pieds à la tête, sembla satisfait de ce qu’il avait sous les yeux, et m’assigna une place dans la caravane. Il me fit mille recommandations, avisées et sages, ainsi que mille menaces pour le cas où je refuserais de m’y plier. Le désert, ces temps-ci, était encore moins sûr. Des rumeurs persistantes lui avaient été colportées du nord au sud. On parlait de convois entiers avalés par le désert. De cris horribles résonnant la nuit dans les oasis. De bandits étranges capables de mener une embuscade en un éclair avant de disparaître instantanément, avalés par les ombres. De bêtes féroces, excitées par d’incompréhensibles forces et bien plus rusées qu’à leur habitude. On murmurait que les Efrit avaient décidé de mener la guerre aux peuples du désert, qu’un puissant dragon avait formé un pacte avec eux. Et ainsi de suite. Je ne puis juger si les dires de Shah-Zaman étaient exagérés ou non. Malgré tout, celui-ci était un voyageur chevronné, et bien que le connaissant mal je n’avais aucune peine à ajouter un crédit certain à ses paroles. La suite du voyage, d’ailleurs, lui donna en partie raison, et ce n’est que grâce à ses conseils, ainsi qu’à l’aide de ma maîtresse, que je pus revenir du désert sain et sauf. Mais la chance, peut-être, ou l’Eternel, m’avaient réservé un rôle plus important que de périr parmi les sables.

lundi, janvier 08, 2007

Lyrana(1)

Alors pour changer un peu d'Arkham et de son ambiance morbide, et pour faire dans le plus simple et, je l'espère, plus rapide à écrire, je vous soumets un petit truc qui me trotte depuis un moment dans le melon :

"Voici l’histoire de ma maîtresse, grande et sublime Barbare, puissante magicienne domptant les éléments, légendaire pourfendeuse du Drakoniste Putréfax, et impératrice pour cent jours de l’Empire des Plaines. Mon nom est Kykk, Sayid Kykk. J’étais voleur et illusionniste dans les Terres de Feu, le continent du Sud. Ceci est l’histoire de comment j’ai rencontré Lyrana à la Blanche Lame. A l’époque, je n’étais plus vraiment en odeur de sainteté à Al-Keerna, ma capitale. On m’avait condamné à plusieurs sentences de mort consécutives, et les nécromanciens officiels du Calife (loué soit le commandeur des croyants !) se réjouissaient déjà d’expérimenter sur mon corps torturé mille supplices avant de m’achever pour me ramener ensuite à la vie et trouver d’autres manières de me briser. La Faculté de Nécromancie toute entière avait été mise à contribution, et une rumeur persistante, colportée par les étudiants dans les tavernes, racontait que le Calife (loué soit le commandeur des croyants !) avait promis une petite fortune à celui qui trouverait un sort permettant de garder mes yeux et mon esprit en vie alors que le reste de mon corps était dévoré par ses molosses, spécialement invoqués des Enfers en prévision de mon sort inévitable. Heureusement, j’étais un menteur assez exceptionnel, et possédais un talent inné pour le déguisement, pouvant déformer ma voix et mon physique à un degré tel que je devenais tour à tour une courtisane au regard de braise, un gros et gras eunuque, ou un cavalier du désert hâlé par le soleil. Ma mère, avant de me chasser de chez elle, me disait toujours que je devais avoir du sang d’Efrit. La réalité, sans doute moins glorieuse, faisait remonter mes origines à un mendiant quelconque et à l’une des soirées trop arrosées de la Guilde des Marchands, mais d’un autre côté, on aurait pu raconter cela de tous mes frères et sœurs, ainsi que de la plupart de mes cousins. Al-Keerna, à l’époque et comme je l’ai déjà dit, était la capitale des Terres de Feu, une immense cité dont la puissance et la beauté ne trouvaient leur égal nulle part ailleurs, quoi qu’en disent les mauvaises langues. La blancheur seule des tours du Grand Palais, toutes plaquées d’ivoire et d’ors, étincelantes au soleil suffisait à faire resplendir la ville à des lieues à la ronde, mais ce n’était pas son unique attrait. Les couleurs chamarrées des mille tentes du grand bazar, où tout pouvait se vendre et s’acheter, l’odeur des épices respirant sous le soleil du désert, le charme ravageur de ses habitants, le regard de braise de leurs sœurs, les étincelles et merveilles en tous genres s’échappant de l’Université de Magie et Arts de l’Esprit, les murailles majestueuses, construites, d’après la légende, par des démons du désert, et complètement infranchissables même par le plus adroit des voleurs (et je sais de quoi je parle, parole !), bref tout concourait pour faire de ma ville le Joyau des terres explorées (et, j’en suis toujours sûr, celui du reste du monde). Le Calife (loué soit le commandeur des croyants !), avait su composer avec toutes les différentes factions, tribus, guildes commerciales, ainsi que la mauvaise volonté générale de sa population pour instaurer une paix stable, du moins en surface. Moi-même, j’appréciais et respectais le Calife (loué soit le commandeur des croyants !), malgré un léger désagrément à propos de la propriété des trésors trouvés par hasard dans son palais. Et même s’il avait juré ma mort lente et douloureuse, il m’avait laissé une petite chance de fuir : aucun Efrit n’avait jamais été lancé derrière mes babouches, ce qui témoignait d’une bienveillance que je savais qu’il était capable d’oublier pour ceux qu’il désirait vraiment éventrer, pendre, étrangler ou décapiter. Il faut dire que, parmi les joyaux que j’avais trouvés dans son palais, et par conséquent gardés pour les protéger des voleurs, le plus précieux à ses yeux était la vertu de la plus jeune de ses courtisanes, qu’il aimait beaucoup, mais que justement il se refusait de chasser de son harem (ou pire, passer par le fil du sabre du bourreau) pour impureté. Il avait écouté longuement les discours de ses philosophes et théologiennes sur la nature de l’homme et de la femme et s’était fait l’opinion qu’une femme, même qualifiée d’impure par le conseil des Anciens, ne portait pas forcément l’opprobre sur l’homme avec qui elle vivait. Néanmoins le conseil était passablement puissant dans notre ville, et porter au grand jour le fait qu’une de ses femmes avait fait entorse aux vœux de leurs justes noces l’aurait probablement affaibli, brisant le fragile équilibre qui faisait de notre ville une cité prospère et paisible. Par conséquent, en homme juste et fin stratège, il avait décidé de menacer publiquement ma mort d’être la pire de toutes les morts de la ville, tout en évitant de nous plonger dans un procès risquant de s’avérer embarrassant pour nous deux. J’étais donc plus ou moins en sécurité derrière mon secret mais, comme le disait le poète, « un carreau d’arbalète pénètre en général le plus profond des mystères », et j’avais décidé de quitter Al-Keerna pour aller voir une partie du vaste monde. J’étais donc passé faire mes adieux à ma mère, qui en avait profité pour faire appeler les gardes du Calife (loué soit le commandeur des croyants !), et après les avoir semés m’étais mis à la recherche d’une caravane suffisamment grande pour y passer inaperçu. "