lundi, janvier 08, 2007

Lyrana(1)

Alors pour changer un peu d'Arkham et de son ambiance morbide, et pour faire dans le plus simple et, je l'espère, plus rapide à écrire, je vous soumets un petit truc qui me trotte depuis un moment dans le melon :

"Voici l’histoire de ma maîtresse, grande et sublime Barbare, puissante magicienne domptant les éléments, légendaire pourfendeuse du Drakoniste Putréfax, et impératrice pour cent jours de l’Empire des Plaines. Mon nom est Kykk, Sayid Kykk. J’étais voleur et illusionniste dans les Terres de Feu, le continent du Sud. Ceci est l’histoire de comment j’ai rencontré Lyrana à la Blanche Lame. A l’époque, je n’étais plus vraiment en odeur de sainteté à Al-Keerna, ma capitale. On m’avait condamné à plusieurs sentences de mort consécutives, et les nécromanciens officiels du Calife (loué soit le commandeur des croyants !) se réjouissaient déjà d’expérimenter sur mon corps torturé mille supplices avant de m’achever pour me ramener ensuite à la vie et trouver d’autres manières de me briser. La Faculté de Nécromancie toute entière avait été mise à contribution, et une rumeur persistante, colportée par les étudiants dans les tavernes, racontait que le Calife (loué soit le commandeur des croyants !) avait promis une petite fortune à celui qui trouverait un sort permettant de garder mes yeux et mon esprit en vie alors que le reste de mon corps était dévoré par ses molosses, spécialement invoqués des Enfers en prévision de mon sort inévitable. Heureusement, j’étais un menteur assez exceptionnel, et possédais un talent inné pour le déguisement, pouvant déformer ma voix et mon physique à un degré tel que je devenais tour à tour une courtisane au regard de braise, un gros et gras eunuque, ou un cavalier du désert hâlé par le soleil. Ma mère, avant de me chasser de chez elle, me disait toujours que je devais avoir du sang d’Efrit. La réalité, sans doute moins glorieuse, faisait remonter mes origines à un mendiant quelconque et à l’une des soirées trop arrosées de la Guilde des Marchands, mais d’un autre côté, on aurait pu raconter cela de tous mes frères et sœurs, ainsi que de la plupart de mes cousins. Al-Keerna, à l’époque et comme je l’ai déjà dit, était la capitale des Terres de Feu, une immense cité dont la puissance et la beauté ne trouvaient leur égal nulle part ailleurs, quoi qu’en disent les mauvaises langues. La blancheur seule des tours du Grand Palais, toutes plaquées d’ivoire et d’ors, étincelantes au soleil suffisait à faire resplendir la ville à des lieues à la ronde, mais ce n’était pas son unique attrait. Les couleurs chamarrées des mille tentes du grand bazar, où tout pouvait se vendre et s’acheter, l’odeur des épices respirant sous le soleil du désert, le charme ravageur de ses habitants, le regard de braise de leurs sœurs, les étincelles et merveilles en tous genres s’échappant de l’Université de Magie et Arts de l’Esprit, les murailles majestueuses, construites, d’après la légende, par des démons du désert, et complètement infranchissables même par le plus adroit des voleurs (et je sais de quoi je parle, parole !), bref tout concourait pour faire de ma ville le Joyau des terres explorées (et, j’en suis toujours sûr, celui du reste du monde). Le Calife (loué soit le commandeur des croyants !), avait su composer avec toutes les différentes factions, tribus, guildes commerciales, ainsi que la mauvaise volonté générale de sa population pour instaurer une paix stable, du moins en surface. Moi-même, j’appréciais et respectais le Calife (loué soit le commandeur des croyants !), malgré un léger désagrément à propos de la propriété des trésors trouvés par hasard dans son palais. Et même s’il avait juré ma mort lente et douloureuse, il m’avait laissé une petite chance de fuir : aucun Efrit n’avait jamais été lancé derrière mes babouches, ce qui témoignait d’une bienveillance que je savais qu’il était capable d’oublier pour ceux qu’il désirait vraiment éventrer, pendre, étrangler ou décapiter. Il faut dire que, parmi les joyaux que j’avais trouvés dans son palais, et par conséquent gardés pour les protéger des voleurs, le plus précieux à ses yeux était la vertu de la plus jeune de ses courtisanes, qu’il aimait beaucoup, mais que justement il se refusait de chasser de son harem (ou pire, passer par le fil du sabre du bourreau) pour impureté. Il avait écouté longuement les discours de ses philosophes et théologiennes sur la nature de l’homme et de la femme et s’était fait l’opinion qu’une femme, même qualifiée d’impure par le conseil des Anciens, ne portait pas forcément l’opprobre sur l’homme avec qui elle vivait. Néanmoins le conseil était passablement puissant dans notre ville, et porter au grand jour le fait qu’une de ses femmes avait fait entorse aux vœux de leurs justes noces l’aurait probablement affaibli, brisant le fragile équilibre qui faisait de notre ville une cité prospère et paisible. Par conséquent, en homme juste et fin stratège, il avait décidé de menacer publiquement ma mort d’être la pire de toutes les morts de la ville, tout en évitant de nous plonger dans un procès risquant de s’avérer embarrassant pour nous deux. J’étais donc plus ou moins en sécurité derrière mon secret mais, comme le disait le poète, « un carreau d’arbalète pénètre en général le plus profond des mystères », et j’avais décidé de quitter Al-Keerna pour aller voir une partie du vaste monde. J’étais donc passé faire mes adieux à ma mère, qui en avait profité pour faire appeler les gardes du Calife (loué soit le commandeur des croyants !), et après les avoir semés m’étais mis à la recherche d’une caravane suffisamment grande pour y passer inaperçu. "