lundi, novembre 06, 2006

Arkham(16)

Geoff rengaina. Il était convaincu qu’il ne restait plus de créatures. Néanmoins, prudent, il décida de faire le tour du propriétaire. Marco était resté paralysé depuis qu’il avait abattu le dernier arthropode. Il lui fit un signe de la main. Pas de réponse. Bon, il allait gérer ça, une fois qu’il se serait occupé de ses blessures. Il se rendit à la salle de bains, allumant toutes les lumières sur son passage, vérifiant chaque recoin de l’appartement, du sol au plafond, dans chaque pièce. Il sentait de plus en plus sa blessure à la main, et son visage lui semblait enfler à chaque pulsation de son cœur. Il se sentait nauséeux. Il s’appuya contre le mur de la salle de bains, alluma la lumière. Il ne se reconnut pas immédiatement dans le miroir. Son visage était tuméfié, comme s’il avait été roué de coups. Sa peau avait noirci autour de la blessure, livide ailleurs. Ses yeux étaient rouges. La nausée revint en force. Geoff saisit une bande de gaze, puis revint dans son salon, où Marco n’avait pas bougé. Il lui tendit ses clés. « Il va falloir que tu m’emmènes, je crois. » Marco le dévisagea, sans mot dire. « Prends ces putains de clés, Marco. » tenta-t-il, toujours très calme. A la mention de son nom, Marco sembla reprendre un minimum pied dans la réalité. Néanmoins il ne bougea pas assez vite. La nausée, la douleur, la sensation que tout son corps allait le trahir se mêlèrent en lui dans un tourbillon sans fin. Et il tomba au sol, sans connaissance.

Lorsqu’il revint à lui, il était dans sa voiture. D’après les lumières qui filtraient par le pare-brise arrière, il n’était pas resté trop longtemps dans le cirage, à moins que Marco n’ait vraiment rien fait pendant un très, très long moment. Mais il en doutait. Il avait suffisamment vu de gens se relever après un choc pour savoir que son ami avait fait à peu près comme tout le monde : se réveiller soudain et agir en mode semi automatique, laissant la scène terrible et ses implications en attente. Il allait passer des sales nuits, Geoff le savait. Il allait se réveiller en sueur un certain nombre de fois, peut-être. Mais pour l’instant, il faisait exactement ce qui devait être fait. Ses mâchoires étaient crispées cependant, et son expression celle d’un homme entièrement dépassé par les événements. « Va moins vite ou je te mets un PV… » coassa-t-il. Le poison, le combat, l’avaient laissé complètement déshydraté. Marco jeta un œil dans le rétroviseur, ralentit... Geoff tenta de lui sourire, mais d’après l’œil inquiet qu’il reçut en échange, sa condition ne devait pas s’être améliorée. « Je me sens un peu mieux, t’en fais pas… » mentit-il en se redressant un peu. « Si tu veux parler, je crois que je suis en état. »
-« C’était quoi ces trucs, demanda Marco. »
-« Mille-pattes »
-« Mais euh… ça existe vraiment ces trucs ? Je veux dire, en vrai qui attaquent les hommes et tout et tout ? »
-« Manifestement, oui. »
-« Il va falloir qu’on fasse venir un exterminateur ou un truc comme ça, tu crois pas ? »
-« Ouais, on fera ça. »
-« Et toi, toi tu as tiré dessus avec ton arme de service. »
-« Ils m’ont cherché. »
-« Mais tu es souvent confronté à ce genre de choses ? »
-« Habituellement non, mais ces temps-ci… Disons que je n’ai pas été surpris. »
-« Ah… C’est bien… » Marco jeta de nouveau un œil dans son rétroviseur. Son expression montrait clairement que ce n’était pas bien du tout, mais que son cerveau ne serait pas capable de produire plus avant une petite pause. Ca tombait bien. Les urgences étaient l’endroit idéal pour réfléchir.

mardi, octobre 24, 2006

Arkham(15)

Marco n’était pas du genre à parler vite. Geoff le connaissait suffisamment pour le savoir, et il s’assit confortablement en attendant toute l’histoire. Alors qu’il regardait son ami il fut pris de nouveau par ce pressentiment, cette peur diffuse qu’il avait ressentis en arrivant. Il fit le tour de son appartement des yeux : rien. Il se rasséréna. Après tout, il avait peut-être simplement eu une rude journée. Il inspira profondément, but une gorgée de sa bière, et planta son regard dans les yeux de Marco, qui semblait prêt à lui conter ses malheurs. Tout s’était passé très vite, en fait. Il avait croisé cette fille, qui s’appelait Maryan, dans un bar du centre ville. Il la décrivit comme « la plus belle fille de la terre, je te jure Geoff, elle est trop mignonne ! ». Ils avaient discuté un bon moment, de tout et de rien. Elle l’avait rappelé une fois ou deux, ce qui l’avait passablement surpris et un peu impressionné : Malgré un physique d’athlète, Marco était par trop timide pour faire des conquêtes très nombreuses. De plus il sortait rarement, et ne rencontrait plus grand’ monde depuis qu’il n’allait plus travailler. Mais elle avait pris les devants, et avant qu’il ait le temps de seulement se rendre compte, ils sortaient ensemble. Elle étudiait la sociologie, connaissait tout sur la vie nocturne d’Arkham, écoutait de la techno à tue-tête à toutes les heures du jour et de la nuit et le trouvait très mignon. Geoff sourit : elle semblait être l’antithèse de Marco. Mais ça ne l’avait pas empêchée de le faire sortir de son appartement et de lui faire découvrir quelques passe-temps ne se résumant pas à un écran et une manette ou un clavier. Ils s’étaient donc vus un certain nombre de fois, et Marco avait raconté une bonne partie de sa vie, à l’exception de sa fortune. Il avait eu le cœur brisé une fois lorsqu’une jolie fille de son ancienne boîte lui avait fait la cour pendant plusieurs mois avant de lui faire comprendre qu’il ne l’intéressait pas du tout. C’était la première fois qu’il parlait à Geoff des raisons de leur rupture, alors qu’il avait passé plusieurs nuits ici à s’abrutir devant la télévision, à l’époque. Il avait mentionné en passant qu’il avait eu des ennuis avec « une nana », mais sans s’appesantir plus. Bref, il s’était dit qu’il allait éviter d’aborder le sujet dans les premières semaines, et était donc resté très vague lorsque Maryan lui avait demandé de quoi il vivait. Au bout de quelques semaines il avait décidé de lui raconter. Elle l’avait très, très mal pris. A peine deux minutes après qu’elle l’eut su, il avait du partir de chez elle.
-« Donc ça c’était hier soir… J’ai rien compris à tout ce truc. Une minute on est tranquillement en train de discuter, celle d’après elle se met à pleurer. Je sais pas trop pourquoi. J’imagine que c’est parce que je lui ai menti, elle doit se dire que… Je sais pas. Enfin bon quand elle pleurait je lui ai demandé s’il fallait que je parte, et comme elle répondait pas je suis parti. Tu y comprends quelque chose, toi ?»
-« Il peut y avoir des tas de raisons pour qu’elle réagisse comme ça. Bon déjà tu aurais du rester et essayer de discuter. »
-« Tu as raison, mais je me sentais tellement crétin, là. J’ai essayé de la rappeler quand je suis arrivé chez moi, mais je suis tombé sur le répondeur à tous les coups. »
-« Bon, elle va peut-être digérer tout ça, c’était peut-être le choc… »
-« Je sais pas trop… En tout cas ça me fout un peu le moral dans les chaussettes… Heureusement que tu étais là ce soir pour… me faire une frousse de tous les diables. »
-« Euh désolé. Bon il doit quand même y avoir quelque chose à faire. Tu as essayé de retourner chez elle ? »
-« Pas aujourd’hui, non. »
-« Bon, tu dois avoir raison. Peut-être qu’elle te rappellera. Je pense que tu peux lui demander des explications, au moins. Tu y vas gentiment, tu t’excuses, et puis tu poses la question. Elle a l’air cool cette fille, en tout cas comme tu me l’as décrite. Je pense qu’elle te reparlera quand elle sera… » Alors qu’il parlait, Geoff vit le visage de Marco virer au blanc en l’espace d’une fraction de seconde. Il regardait un peu au-dessus de lui et semblait sur le point d’hurler. Sans hésiter, Geoff se saisit de son arme et fit volte-face. « … prête. ». A peine à un mètre de distance, trois mille-pattes, énormes et noirs se précipitaient à leur rencontre sur le plafond. Geoff fit feu immédiatement, touchant l’un des arthropodes qui tomba au sol avec un bruit sourd. La bête n’était apparemment pas morte, mais se tortillait sur le sol, semblant vouloir se remettre sur ses pattes. Geoff releva les yeux. L’une des créatures venait de se laisser tomber sur lui, griffant son visage avec une force qu’il n’avait pas imaginée. La douleur était atroce. En plus de la puissance derrière les petits crochets remuant sans cesse, il pouvait sentir une autre douleur, plus douce celle-ci, qui semblait s’étendre de plus en plus à chaque battement de son cœur. Il lâcha son arme et tira de toutes se forces sur le petit corps frétillant, l’arrachant à son visage, laissant une longue griffure derrière lui. Un moment, les antennes de l’animal, d’une douceur écoeurante, vinrent lui lécher le visage. Il lança la bête de toutes se forces contre le mur. Le corps laissa une traînée jaunâtre sur le mur avant de tomber au sol, immobile. Il se retourna. Marco tentait de repousser la dernière créature avec sa bouteille de Mountain Dew. Geoff se baissa pour ramasser son arme, et hurla de douleur. Le premier mille-pattes avait saisi sa main et avait planté ses crocs entre le pouce et l’index. Il empoigna son pistolet de la main gauche, posa la droite sur le sol, la créature encore accrochée, et fit feu, espérant ne pas sursauter. Le bas du corps éclata, coupant presque la bête en deux. Il arracha sa main aux griffes inertes, puis fit signe à Marco de ne pas bouger. Il se concentra une seconde et, toujours de la main gauche, fit feu. Il ne réussit qu’à effleurer la bête, qui se recroquevilla sur elle-même de souffrance. Marco regarda Geoff, qui haussa les épaules, et l’écrasa de plusieurs coups de talons.

mercredi, octobre 18, 2006

Arkham(14)

Geoff sortit de la voiture et fit un signe de main à son équipière. La journée de demain allait être bien remplie elle aussi. C’était bien. Ils avaient quelques éléments à suivre, quelques contacts à creuser… Il habitait un immeuble en plein centre d’Arkham, dans un confortable appartement. Il en avait hérité de sa grand-mère, « la dernière de la famille à avoir réussi », comme lui disait sa propre mère. Elle avait toujours apprécié le luxe, les grosses berlines allemandes, les réceptions pleines de gens importants, « parce qu’il faut savoir se montrer ». Habitant New York, la famille Finn avait toujours gravité autour de l’élite, son arrière-grand-père ayant possédé une salle de spectacle sur Broadway, l’Ambassador Theater. Toute jeune, sa mère déjà avait été aveuglée par les spotlights. Elle était tombée enceinte de lui à dix-sept ans, d’un père qu’elle avait toujours refusé de lui nommer. Sans doute une vedette mineure, de toute façon pas prête à s’embarrasser d’une femme et d’un gosse. Elle était donc retournée vivre avec ses parents, qui avaient hérité de l’Ambassador. Mais le cinéma et la vague Off-Broadway avaient petit à petit vidé la salle, et lorsque ses grands-parents avaient pris leur retraite, sa mère n’avait plus pour vivre que l’aide de ces « amis » lointains et riches qui, ne voyant plus en elle une aide si précieuse, s’éloignèrent un à un d’elle. Pourtant elle les avait choyées, ses stars. Elle avait donné tout ce qu’elle avait dans l’espoir de « montrer au monde qu’elle était quelqu’un ». A force de vivre selon ces principes, elle avait fini par mourir dans la misère, endettée jusqu’au cou. Trop de locations de salles de réceptions, trop de champagne par cartons entiers. Lorsqu’il lui avait dit qu’il avait décidé d’être flic, elle l’avait traité de tous les noms, et lui avait clairement dit qu’elle ne souhaitait plus jamais le revoir. Il avait acquiescé, avait fait son sac, et s’était installé à Arkham, dans l’appartement que sa grand-mère, prudente, lui avait légué directement. Il y vivait depuis sa majorité, et l’aimait profondément. L’immeuble était ancien et vénérable, pas de toute première fraîcheur certes, mais ses parquets craquants et son odeur de vieux papiers étaient tout ce qu’il avait connu depuis son départ. En gravissant les marches, il entendit des sons venant de chez lui. Ce pressentiment étrange, qui l’avait envahi dans la forêt, lui revint soudainement. Il inspira une fois, pour se reprendre, puis gravit sans bruit les marches restantes, et plaqua son oreille à la porte. Il entendait de la musique, et un cliquètement bizarre, comme si quelqu’un ou quelque chose tapait délicatement des ongles sur le parquet ciré. Il dégaina son arme, s’accroupît contre la porte, et tenta de bouger la poignée. Le verrou n’était pas enclenché. La porte céda doucement devant lui, révélant le petit couloir menant au séjour. On avait allumé la télé, mais il ne pouvait pas voir ce qui passait à l’écran, caché par le dossier du canapé. Et toujours le cliquètement. Lentement, il se redressa, l’arme toujours au poing. Puis il se relaxa, rengaina son arme. Toujours sans bruit, il s’approcha du canapé puis, rapide comme l’éclair, il agrippa la première chose qu’il trouva, qui s’avéra être la manche d’un t-shirt un peu moite, en poussant un grand cri. « QU’EST-CE QUE J’AI DIT AU SUJET DES PARTIES DE CONSOLE CHEZ MOI ? ». Il sentit sa proie se cabrer puis tenter de fuir avant de tomber lourdement du canapé. Puis une main d’homme, tremblante, émergea, suivie d’un corps tout entier crispé par la panique, terminé par un visage penaud.
- « S-Salut… Euh… Eh bien… Tu n’étais pas là et… Enfin… Je me suis dit que l’un dans l’autre euh… Ben euh… Désolé. »
Geoff, l’air excessivement sérieux, foudroya l’intrus du regard pendant un long moment. Celui-ci était comme à son habitude vêtu d’une salopette tombante sur un t-shirt informe. L’homme était grand, maigre et mal rasé, la consternation et la honte se disputaient son visage. Geoff hésita un moment à le faire se tortiller encore un peu. Non. Son pressentiment n’avait été qu’une fausse alerte, et il n’avait pas le cœur à se montrer encore plus dur. Il se fendit d’un large sourire, s’approcha de lui et lui envoya une petite tape amicale. Il montra la pendule murale du doigt, il était sept heures passées. « Marco Kimble en personne, et debout à cette heure-ci ? Tu fais de l’insomnie ? Et où étais-tu passé depuis deux semaines ? ». Marco, plus ou moins remis de ses émotions, s’avachit dans le canapé. « C’est bien pour ça que je suis venu ici. » Il se leva, passa à la cuisine prendre un Mountain Dew, et ramena une bière à Geoff, qui le remercia avant de s’asseoir à côté de lui. Il aimait Marco comme un frère. Ils s’étaient croisés dans le bus pendant plusieurs mois, à l’époque où celui-ci travaillait encore dans une boîte de traitement de données, avant de s’adresser la parole. Et puis une fois Marco avait franchi le pas. Il s’était assis à côté de Geoff et avait commencé à lui parler, de tout et de rien. Geoff, qui n’avait guère d’autre ami à l’époque que de vagues connaissances du boulot, n’attendait que ça. Célibataires tous les deux, et habitant à deux pas l’un de l’autre, ils avaient pas mal de temps libre qu’ils occupaient la plupart du temps dans cet appartement à regarder des films ou à faire des parties de la dernière trouvaille ludique de Marco. Celui-ci avait une connaissance encyclopédique de tout ce qui avait trait à l’amusement sous toutes ses formes, et même si Geoff n’était pas aussi féru que lui, Marco lui trouvait toujours un passe-temps sympathique. Puis Marco avait fait fortune avec une petite application qu’il avait revendue à une grosse compagnie qui lui avait fait une offre qu’il n’aurait jamais osé imaginer. Geoff s’était attendu à ce que Marco déménage, qu’il refasse sa vie dans un coin plus ensoleillé, dans une ville plus gaie. Mais il n’en était rien. Marco était resté. Geoff soupçonnait que Marco, ayant été son confident le plus fidèle, craignait de tomber dans les mêmes travers que sa mère. Ou alors qu’il n’avait rien ni personne à part lui, et qu’il s’en satisfaisait pleinement. Il était donc resté à Arkham, dans le même appartement, avec le même style de vie. Il se couchait et se levait plus tard, mais sinon rien n’avait changé. Et tout au fond de lui Geoff lui en était reconnaissant : lui non plus n’avait pas grand’ monde à qui se confier. Néanmoins, ces temps-ci, il avait remarqué quelques changements d’habitude chez son ami. Il n’apercevait plus de sa fenêtre les clignotements incessants provenant des différents écrans toujours allumés chez lui. Il y avait quelque chose qui clochait, et Geoff avait bien une petite idée de ce que c’était… Effectivement, Marco avait rencontré une fille. Il était venu ce soir lui raconter tout ça.

lundi, octobre 09, 2006

Arkham(13)

Le soir tombait. Le ciel avait pris une couleur d’airain et au long de la route, Geoff pouvait voir l’océan battant les falaises. L’eau, elle aussi semblait avoir pris la couleur du métal, un métal sombre, glacé. Depuis ce matin (et comme il lui semblait lointain, ce matin) le ciel s’était couvert : de gros nuages gris s’étaient formés. La grande route sur laquelle Mantoni conduisait pied au plancher était déserte. Plus personne ou presque n’habitait dans la région. Quelques rares personnes avaient choisi de rester dans la campagne ou dans les bois, quelques auberges de jeunesses, désertées à cette époque par les touristes, produisaient çà et là de la lumière. Il pouvait aussi apercevoir les lumières d’Arkham, au loin.
- « Est-ce que quelqu’un pourrait m’expliquer, soupira soudain Mantoni, comment un type arrive à parcourir cette distance derrière nous sans qu’on s’en aperçoive, et sans faire le moindre bruit de moteur ? »
- « Bon, il peut nous avoir suivis de suffisamment loin pour pas qu’on le remarque, s’être arrêté à une distance suffisante pour qu’on n’entende pas sa voiture, et fait la fin à pied, répondit Geoff sans grande conviction. »
- « Ouais, mais enfin c’est pas comme si tout le monde savait où on allait. C’est pas comme si on avait suivi nos procédures standard… Et puis trouver la baraque d’Harry, comme ça, sans savoir… » Elle laissa en l’air la fin de sa phrase. Aucune chance, aucune, que qui que ce soit ait pu trouver la cabane sans avoir été exactement sur leurs talons. Et ça, c’était tout simplement impossible, elle l’aurait remarqué. « Tu as parlé d’Harry à qui que ce soit, demanda-t-elle, d’une voix très calme. »
- « Non. Je vois pas pourquoi j’en aurais parlé à qui que ce soit. »
- « Oui c’est bien ce que je pensais. Je cherche, je cherche. J’ai la rage. » Ses mains étaient crispées sur le volant, phalanges blêmes.
- « Tu m’étonnes. »
- « Le pauvre petit gars était mort de trouille, et on n’a rien pu faire. Il avait mis son sort entre nos mains, et on n’a pas réussi à éviter qu’il se fasse bouffer par une putain de bestiole dégueulasse. » De rage, Mantoni frappa son tableau de bord.
- « Pour moi c’est ça le plus bizarre dans cette histoire : Les mille-pattes. On a des cadavres dans des mille-pattes dessinés, et aujourd’hui un mille-pattes géant. OK, d’accord, c’est pas une taille très inhabituelle pour un mille-pattes, il paraît, surtout dans la forêt, comme ça. Mais il reste que jusqu’à aujourd’hui des mille-pattes géants j’en avais jamais vu. Il faut bien qu’il les trouve quelque part, ces mille-pattes, non ? »
- « Si. On fera un tour chez les collectionneurs demain. On a rendez-vous quand chez ta spécialiste de l’occulte ? »
- « Un peu quand on veut. Je pense qu’on pourra faire ça aussi, demain. »
- « Bon. » Mantoni esquissa un sourire à Geoff et, l’espace d’un instant, plongea son regard dans le sien, un regard fort d’assurance et de sérieux, qui semblait dire (ou en tout cas elle l’espérait) : « C’est bon, j’y suis maintenant. Je fais face ». Il n’aimait pas la voir comme ça, elle le savait. Il pensait qu’elle était moins efficace à tourner dans sa tête comme un lion en cage, et elle n’était pas toujours sûre qu’il avait tort. Néanmoins, la colère en elle était toujours là. Et elle savait que Geoff, de son côté, et malgré son calme apparent, bouillait du même feu. Elle inspira une grande bouffée d’air, alluma une cigarette, et emprunta la sortie « Arkham – 20 Miles ». Le ciel était éteint, et s’était fondu dans l’océan.

samedi, septembre 16, 2006

Japanese update

Alright, I'm not gonna write IN Japanese, but I'm using this as a kind of internet postcard kinda thing. Here we are in Tokyo, yours truly, obviously, but also my big Bro', currently sleeping in front of a computer, Val, Bouddha, and Jo, hanging about, waiting for the subway lines to come alive once again, and our curfew to be over (it is now 6:53 AM, here in Tokyo, and our Hotel closes at 1...). We went clubbing and it was good. Japanese guys are funny when drunk. We actually spoke to one or two of them. It's not as easy as it sounds. I'm simply exhausted and my feet hurt, but the D&B was fine, the club was alright, and I got my best girl online as I'm writing this. LIfe could suck more... Anyhoo, maybe we're gonna be able to get back to our quarters... which would be good, cuz I'm gonna fall right here and now. So to everyone who checks this semi-regularly : Booh-ya ! Take care, friends and lovers, and see you in Europe !

Kampai !

mardi, juillet 25, 2006

Arkham (12)

Ils firent le tour de la cabane en silence. La forêt était d’un calme olympien. Pas un bruit, pas un cri d’animal, pas un bruissement de feuilles ne parvenait à leurs oreilles. Le temps était au beau fixe, pas un souffle de vent. Geoff scrutait les environs, louvoyant du regard entre les gros sapins majestueux, mais il ne vit absolument rien d’anormal. La scène semblait figée, comme morte. Il frissonna. Quelque chose se tramait, quelque chose d’anormal, de malsain, qui semblait vouloir l’emporter, le plonger dans un gouffre sans fond rempli de haine et de sang. Pire encore : l’emporter lui mais aussi Mantoni et le reste des gens qu’il aimait. Une fraction de seconde, son pas s’arrêta, avant qu’il ne reprenne le dessus. Non. Il n’allait rien lui arriver. Il n’allait rien arriver à Mantoni, ni à qui que ce soit d’ailleurs, parce qu’ils allaient mettre de l’ordre dans tout ça. Ils allaient finir par coincer les salopards.
Il se rendit compte que ses deux amis s’étaient arrêtés, au niveau de la fenêtre par laquelle l’agresseur s’était introduit. Sortant de sa rêverie, il commença à inspecter le sol, précautionneusement, prenant garde de ne pas fouler d’éventuelles traces, mais parfaitement conscient que si l’homme avait réussi à les suivre sans se faire remarquer, et à s’introduire aussi efficacement, il n’avait sans doute pas laissé de traces non plus. Hong faisait de même, un air dubitatif sur le visage. Mantoni tentait quant à elle de découvrir comment il avait pu se hisser jusqu’au premier étage. Elle tenta tout d’abord d’escalader le mur, mais même une athlète comme elle avait bien du mal à trouver une quelconque prise. Les lambris recouvrant les murs étaient bien trop petits pour pouvoir s’y accrocher avec les mains. Elle s’éloigna ensuite un peu, et escalada le plus proche sapin. Geoff la regarda avec une admiration non dissimulée. En moins de temps qu’il en faut pour le dire, elle s’était retrouvée assise sur l’une des grosses branches et, sûre d’elle, commença à tendre ses bras en direction des murs. Tentant de toutes les façons possibles d’atteindre la fenêtre. Mais malgré sa grande taille, et ses mouvements précis, elle ne réussit jamais à s’approcher suffisamment. Elle interpella Geoff et Hong :
- Y en a un qui pourrait me dire comment un type, même grand, fait pour atteindre une fenêtre de cette hauteur sans une échelle ?
Hong haussa les épaules.
- C’était peut-être Batman ? Quelqu’un a pensé à regarder le ciel ? répondit Geoff.
- Hahaha, Batman, à Arkham, très drôle, répondit Mantoni, pas du tout amusée. Tu n’as pas autre chose à me proposer ? Des traces de pas en bas ? Chaussures à crampons, ventouses, quelque chose ?
- J’ai bien peur que non. J’ai trouvé une pomme de pin. Mais à moins que notre tueur ne se soit dit « Tiens ! Une pomme de pin ! Et si je la tenais un moment et que je laissais mes empreintes partout dessus », je doute qu’elle puisse nous apprendre quoi que ce soit. J’ai bien peur que tout ceci ne reste un mystère complet jusqu’à demain…
- Je vais envoyer l’équipe avec les UV pour voir si votre coco n’a pas laissé traîner du sang partout, les coupa Hong. Mais en dehors de ça je ne vois pas ce que nous pouvons faire de mieux. Rentrez donc chez vous, je vous ai assez entendus.
Geoff et Mantoni échangèrent un regard complice. Hong les congédiait pour leur permettre de reprendre des forces, mais il ne pouvait pas se permettre d’exprimer une quelconque sympathie. « Nous aussi on t’aime », lui lança Mantoni, sautant de l’arbre, avant de lui tapoter le dos. « Tu nous tiens au courant ? »
- Non, cette fois je ne vous tiens pas au courant de quoi que ce soit. C’est moi qui règle cette affaire, et vous, vous restez assis sur vos postérieurs à avoir l’air de grands enquêteurs. Et quand le maire me remettra une médaille, je dirai que c’est à vous que je dois tout ce que je sais, répondit-il sèchement, roulant les yeux au ciel. Allez, filez ! Et faites attention à ne pas abîmer ma scène avec vos mouvements disgracieux.
- Bien chef.
Ils tournèrent les talons, firent un petit signe à Hong, et retournèrent à la voiture.

lundi, juin 12, 2006

Arkham(11)

-« Qu’est-ce que vous avez encore fait ? » commença le photographe, sans autre préambule. Geoff le mit au courant alors qu’ils gravissaient les escaliers pour rejoindre Mantoni et la scène du crime. Hong écouta gravement. Les infirmiers avaient emmené Harry sur un brancard, et il ne restait qu’eux trois dans la maison. Lorsque Mantoni le vit arriver, son visage s’illumina l’espace d’un instant. Puis elle rejoignit la conversation.
-« Salut, Grand Maître de l’argentique et du numérique. Entre donc dans le lieu sympathique où notre cinglé des entrepôts a décidé de refaire des siennes… »
-« Tu penses que c’est le même type. »
-« Oh, tu me connais, moi tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. N’empêche, il y a des tas de trucs qui me font pencher vers ce genre d’hypothèse : déjà, le type qui est en train de faisander sur le sol était un des habitants des entrepôts, et a priori même un taré courageux rechignerait à s’approcher d’une baraque dans laquelle il sait qu’il y a deux flics pour trucider un pauvre SDF. À moins d’avoir très peur de ce que ledit SDF pourrait raconter auxdits flics.»
-« Sans oublier, continua Geoff qui s’était penché pour ramasser la serviette, ce genre de petite chose… Une charmante petite bête comme ça, ça ne te dit rien ? »
Hong eut un léger mouvement de recul au moment où il découvrit ce qui restait du mille-pattes. Mais il se reprit très vite.
-« C’est une scolopendre. »
-« Gagné. Tu sais où j’ai vu un truc comme ça récemment ? » continua Geoff.
-« Sur un de tes superbes clichés, justement sur la scène du crime des entrepôts. Alors j’ai beau ne rien savoir, je vais quand même commencer à fouiller dans cette direction. » Hong la regardait avec un air sévère. Mantoni tira sur sa cigarette avant de lui décocher un grand sourire. « Mais, comme j’ai été formé par les meilleurs, je vais quand même vérifier ce que je pourrai sur notre ami infortuné. À toi. Qu’est-ce que tu peux nous dire pour l’instant ?»
Hong regarda autour de lui un long moment, prit quelques clichés. Puis il accrocha sa veste à une poignée de porte un peu plus loin, revint, et prit d’autres clichés.
-« Bon, alors on a le point d’entrée, la fenêtre, et le point de sortie, qui est le même. On ira voir en bas pour essayer de savoir comment il est monté. Je suppose que c’était un homme, vu la profondeur des plaies et l’angle descendant des blessures. Étant donné la taille de la victime, je n’exclurai cependant pas une femme, même de taille moyenne, pourvu qu’elle soit passablement musclée. Ça vaut d’ailleurs pour l’homme, il faut une sacrée force pour mettre un coup qui va jusqu’à l’os sur une victime se tenant debout. Surtout que l’arme n’était pas très effilée, comme en témoigne le côté plus déchiqueté que découpé des plaies. Pas de traces de pas visibles, quelques épines de sapin un peu partout, mais ça peut venir de n’importe qui et ne nous apprend pas grand-chose. Je ferai venir les gars du labo pour qu’ils m’aspirent tout ça, il y aura peut-être des fibres. J’aurai besoin d’échantillons de vos manteaux, pantalons, tout ça. L’arme du crime, donc, probablement une machette ou un objet semblable, relativement peu aiguisé. Le problème, c’est que l’angle des plaies ne semble pas cohérent avec cette hypothèse, surtout étant donné la taille de la pièce. »
-« Un hachoir de boucher, un truc comme ça ? » demanda Mantoni.
-« Ça aussi ça m’étonnerait. Je verrai ça mieux sous un microscope. À part ça, on fera un relevé des empreintes digitales, des fluides (ça nous servira déjà à voir si votre SDF est fiché). Et puis je comparerai les blessures à celles de nos cinq autres clients. À ce propos, j’ai quelques résultats intéressants. »
-« Surprends-nous. », l’invita Geoff.
-« Oui. Tout d’abord nous avons très peu avancé sur l’identité des sujets, mais nous avons encore une petite chance de les retrouver grâce aux dossiers dentaires. Pour l’instant on peut juste dire qu’aucun d’entre eux ne se fait soigner les dents à Arkham. Pour l’instant, on tourne un peu en rond de ce côté-là. Mais la vraie mauvaise nouvelle, c’est que les analyses d’ADN sont formelles, les cerveaux retrouvés près des corps n’allaient pas avec les corps en question. Et ça, ça veut dire… »
-« Qu’on n’a pas cinq cadavres sur les bras, mais dix », continuèrent Geoff et Mantoni, de concert.
-« J’en ai bien peur. Bon, allons faire un tour dehors. »

vendredi, juin 09, 2006

Used to it...

We changed. We didn’t mean to. We didn’t want to. But we did. It got complicated, but I guess all things do when they change. But hey, you get used to it. You get used to anything if you’re hungry. It wasn’t that hard, after awhile. Just going to the store, filling your cart. all wrapped in plastic, clean, hygienic. In your fridge, it gleams under the electric light. That kind of pinkish grey. That mother-of-pearl patina. Take it out, fry it, dispose of the package. Then go to bed, fuck, sleep. Maybe toss and turn for awhile, at least I used to at first. But hey, you get used to it. Even the ones working the slaughterhouses got used to it. They get up in the morning, they kiss their wives and kids, and that’s where they go. And when they come back nothing’s changed.

When it all started we would grab them off the street. That wasn’t very smart. I mean, no one was ready, no one understood. It was all so disorganized. We were hungry, maybe scared sometimes. Some of us did OK. One of my friends from work, he used to tell me he went to Thailand. They didn’t care what you did with the product over there, as long as you paid them. Still, you know… It just wasn’t fair for the rest of us who couldn’t afford trips to Asia or Eastern Europe. I mean the poor got a right to eat, too. So we tried different solutions.

In Texas, they thought the Klansmen were acting out all of a sudden. Getting riled up or something. Alright, these guys already are a bit on the crazy side, but they were never that brave. Isolated families, they just disappeared. First time they caught someone though, it was a schoolteacher from Dallas, and he never wore a sheet in his life. Hey, what was he gonna do ? The Klan fellas, they never get caught. He probably thought they’d take the fall. So the DPD locked him up. Eventually, some guys calling themselves the Bloody Dragons of the KKK started writing to him, and actually helped him escape jail. After that, they and him got holed up in some hideout in the country. That was the last anyone heard of the guy, and of the Bloody Dragons. Can’t say I missed them. Other incidents happened.

The hunger made some of us pick the poor, the hunger made a few of us pick the rich. Takes one to catch one, they say… So you caught one of yours, whatever you were. You could go for the people closest to you, they never saw it coming : husband, wife, parents, kids, anything went back then. But you know, there are only so many spouses, parents, kids one can have. And besides, some didn’t like the idea when it was someone they knew : When they’re all gone, it gets lonely. But you get used to lonely too, I guess.

After awhile, we outnumbered them. Whatever it was that changed us, it worked better and better. And we realized we would have to aim for the long run. We couldn’t afford to lose them all. So we put them in camps. We pampered them, fed them, let them breed and get fat. As we watched them in their camps, we started to realize they weren’t that smart. In fact, they were kind of pathetic, actually. They were weak, and not very bright. They were no better than children, really. Pups. Once, they tried to escape, to revolt. So we took some of their privileges away. They weren’t allowed books anymore, or radio, or television. That was pretty dumb of them, revolting like that. And besides, thy had it better than some of us on the outside, having to work for a living. All they had to do was get fat. Some of them just stopped eating sometimes, so we force-fed them with tubes and proteins. They all got fat in the end.

These days, we don’t much think about them. We remember we have the Andersons coming to dinner that night so we go to the store. We buy the blister of premium female cerebellums, but the beasts they come from are nowhere in sight. We unwrap it, we sauté it, we eat it. And we go to bed. maybe we toss and turn for a moment, but not much anymore.

jeudi, juin 08, 2006

Vin Diesel : A Gamer


As some of you may know, I like Vin Diesel. I don't like hime because he was "XXX" or that guy that drives that penis...errr...car in The Fast and The Furious. No, I like Vin Diesel because he is a proud gamer. He came out in Conan O'Brien's show, too, which was respectable. Lately I found a motivational poster for RPG players (at this address). Enjoy !

mercredi, juin 07, 2006

Arkham(10)

Harry Stone était une vraie montagne. Mesurant près de deux mètres, large d’épaules, légèrement bedonnant, il n’aurait pas dépareillé dans un rassemblement de Hell’s Angels. Cette impressionnante carrure lui avait toujours évité les confrontations en tout genre, ce qui l’avait rendu particulièrement calme et posé en toute situation. Alors qu’il sortait doucement de l’évanouissement, il ressentait une confusion qui ne lui était pas coutumière. Non seulement on l’avait agressé physiquement, mais on l’avait maîtrisé en un clin d’œil. Habituellement, on faisait appel à lui pour calmer une situation, pour exercer une influence impressionnante certes, mais bienveillante. Pour éviter, justement, d’en venir aux mains. Et, ici et maintenant, il n’avait pas suffi. Il ouvrit les yeux, lentement, un mal de tête diffus commençant à lui broyer le crâne. Geoff et Mantoni étaient penchés sur lui, l’air inquiet.

-« Me regardez pas comme ça. Je suis pas encore bon pour le cimetière… »

-« Non, mais pour un scanner, sûrement, répondit Geoff, l’air malgré tout soulagé. Essaie de ne pas trop bouger, non seulement tu as peut-être des trucs cassés, mais en plus tu as affaibli le plancher et j’ai peur que tu passes à travers… »

-« Petit malin. »

Mantoni s’assit contre le mur, à quelques centimètres du cadavre de l’animal, auquel elle jeta un regard méprisant, puis demanda :

-« Tu te sens capable de discuter un peu de ce qui s’est passé ? »

-« Au niveau du crâne, ça va… Mais étant donné que je me suis fait assommer dans le même temps que j’ai entendu le bruit, je vais encore être inutile aujourd’hui… »

-« Ouais, ouais, inutile, crétin, bouh, bouh, bouh, que je suis malheureux et inutile et nul… Bon, quand t’auras fini de te lamenter tu pourras essayer de stimuler ton énorme boîte crânienne, s’il te plaît ? »

-« Ouais bon ça va. Il n’empêche que c’est vrai que j’ai rien vu ou presque. »

-« Alors commence par le presque. »

-« C’était un bossu… En tout cas, son manteau remontait bizarrement dans le dos. Et il portait un masque. Avec des mandibules. »

-« Bon, dit Geoff, on est au moins sûrs qu’il y a un lien avec nos mabouls. Reste à savoir pourquoi ils prendraient le risque de nous suivre jusqu’ici et de tuer Stan dans notre dos. »

-« C’était courageux. »

-« Et efficace, remarqua Harry, toujours un peu penaud. »

D’un commun accord, Geoff et Rebecca lui retournèrent un retentissant « Ta gueule ! ». Puis Geoff se leva : l’ambulance et l’équipe de Hong arrivaient.

Matthew Hong était un petit homme d’une quarantaine d’années. Toujours vêtu d’un blazer brun, les coudes recouverts de pièces de cuir (de dinosaure, sans doute, avait toujours supposé Geoff), et ne se déparant jamais d’une de ses nombreuses mallettes à photo, il donnait l’impression de perpétuellement fulminer. Il marchait excessivement vite pour un homme de sa taille mais, devant son air décidé, la plupart des obstacles vivants ou non semblait s’écarter de sa route. « Étrange, pensa Geoff en le regardant arriver, comme on peut se tromper sur les gens… » Lorsqu’il avait rencontré le technicien, il avait tout d’abord été frappé par son ton sec et ses déclarations sans équivoque. Il avait au départ eu beaucoup de mal à l’apprécier mais, à la « demande » de Mantoni (« Tu vas voir Hong et tu te tais. »), il avait été obligé de plusieurs fois travailler avec lui. Lors d’une enquête particulièrement sanglante sur laquelle ils avaient bossé tous les deux, ils avaient fini assez tard et s’étaient permis une bière fraîche sur l’une des quelconques terrasses de la faculté de médecine. C’était là, en devisant de tout et de rien avec Hong, que Geoff s’était aperçu qu’il s’était complètement trompé sur son compte : Il n’était pas, comme il l’avait d’abord pensé, une bête de travail insensible et imbue d’elle-même, mais un professionnel acharné croyant dur comme fer que son métier pouvait aider à rendre le monde un petit peu moins glauque. En se plongeant dans la misère, le sang et les larmes, Hong permettait au reste de la population de vivre sans avoir à y plonger elle aussi. Et ses manières peu orthodoxes étaient une manière de se protéger de la misère dans laquelle il baignait continuellement. Depuis ce jour, Geoff respectait énormément le photographe et, si leurs rapports ne pourraient jamais être qualifiés de cordiaux (le mot cordial même semblait saugrenu quand Hong était concerné), ils s’appréciaient mutuellement et travaillaient de manière extrêmement efficace. Il s’approcha pour lui serrer la main.

mardi, mai 16, 2006

Arkham(9)

Mantoni monta la première, l’arme au poing. Les deux policiers entendirent un cri très court, puis le choc sourd d’une lourde masse heurtant le sol. Ils redoublèrent de vitesse. Les escaliers débouchaient sur un couloir lambrissé. Alors que Geoff se positionnait à un coin, Mantoni jeta un œil : Rien. Silencieusement, elle fit signe à Geoff que la voie était libre. Elle se dirigea vers la chambre d’Harry. Pas un bruit ne filtrait à travers la porte. Elle posa sa main sur la poignée, laissant à son équipier le temps de se positionner, et poussa. Le soleil de l’après-midi ne perçait qu’à peine les frondaisons, mais à l’évidence il n’y avait personne. La fenêtre était intacte. Elle fit rapidement demi-tour et se dirigea vers la salle de bains. La porte était entrouverte, et laissait filtrer la lumière d’un néon. Mantoni la poussa. Harry était allongé sur le sol, son énorme masse occupant quasiment toute la surface de la petite salle de bain. Elle se pencha sur lui. Il respirait encore, mais une vilaine plaie lui barrait le front. Elle sortit son téléphone de sa poche et composa 911. Geoff avait poussé la porte vitrée de la cabine de douche et ce qu’elle vit lui fit presque lâcher son arme. Stan était nu, accroupi contre l’une des parois. La cabine dans son ensemble était éclaboussée de sang. De larges plaies traversaient intégralement le torse et l’abdomen du petit homme, découvrant par endroits ses côtes. Mais ce n’était pas le pire : Dans les plaies se trouvait le plus grand mille-pattes que Mantoni eût jamais vu. La bête mesurait dans les soixante centimètres, son corps était d’un noir rougeâtre, taché qu’il était de sang, et se tortillait sur le torse du petit homme de manière grotesque. Mantoni, surmontant son dégoût, se saisit d’une serviette et s’en servit pour se saisir de l’animal, qui se raidit immédiatement entre ses mains, tentant désespérément d’échapper à son emprise. Les petites pattes semblables à des brindilles cliquetaient entre elles, arrivant parfois même à passer au travers de la serviette, la griffant. Elle se tourna vers Geoff, qui acquiesça et pointa son arme vers l’entrée, et jeta la bête en direction du couloir. Au moment précis où elle atterrit, Geoff fit feu. La serviette fut transpercée, et une giclée de liquide jaunâtre en jaillit. Le mille-pattes cliqueta sur place pendant encore une trentaine de secondes avant de s’arrêter. Mantoni se précipita vers la fenêtre, mais ne vit absolument rien. La forêt était d’un calme olympien. Aucun bruit de moteur, aucune cavalcade désordonnée ne lui parvint. Elle se saisit une nouvelle fois de son téléphone pour appeler du secours. Stan respirait encore, faiblement, mais elle avait déjà vu suffisamment d’agonisants pour savoir qu’il allait y rester. Geoff s’approcha de lui et attrapa sa main. Stan leva à peine une paupière et sembla tenter de lui sourire. Geoff planta son regard dans le sien, un sourire triste sur son visage. Soudain, Stan ouvrit la bouche. « La Mère… dit-il d’une voix rauque, La Mère doit arriver... Ils l’ont inventée mais… Elle va venir ». Puis il fut pris de convulsions, cracha un peu de sang et s’affala. Geoff lâcha sa main, et leva les yeux vers Mantoni. Celle-ci lui posa la main sur l’épaule. Ils se penchèrent sur Harry.

lundi, mai 08, 2006

Arkham(8)

-« Bon, je commence par le début : Notre Professeure Heather Finn est une vieille dame absolument charmante. Elle a environ soixante-cinq ans, elle a été mariée en tout cas cinq fois, elle a baroudé à travers le monde pendant toute sa vie et elle possède une culture pas croyable, ainsi qu’un sens aigu des réalités de la vie, ce qui est assez paradoxal, et particulièrement étonnant pour un métier de rat de bibliothèque. D'un autre côté, elle a un certain mépris pour le reste de ses collègues. »
-« Tu es sous le charme… »
-« Plutôt, oui. Elle écluse du Pur Malt comme tu bois du café, elle a une santé d’acier, et elle est capable de soulever une pile d’ouvrages reliés cuir de deux mètres de haut sans même sourciller. »
-« Bon, je vois le personnage. »
Mantoni appréciait les présentations de Geoff. Il avait une intuition sur les gens qui s’avérait toujours en tout cas en partie correcte. Néanmoins, parfois, il lui semblait que plus elle désirait savoir ce qu’il savait, plus il faisait durer ses introductions. Elle s’alluma une cigarette en lui faisant signe de continuer.
-« Bref, tout ça pour dire que cette charmante dame, en plus de tout ça est sans doute LA spécialiste des cultes à moitié disparus et de leurs gribouillis occultes. Une sommité mondiale, avec plus de cinquante bouquins à son actif, et un gros, gros paquet d’articles. »
-« Impressionnant. »
-« Ouais. Donc on a de la chance à ce niveau-là. Malheureusement il y a un problème de taille. Ces trucs-là, elle les avait jamais vus. Inconnus au bataillon. Notre sommité sèche. »
-« Fait chier. »
-« C’est aussi ce que j’ai dit. Mais, et là on touche du doigt quelque chose d’utile, elle a posé les choses très différemment de ce qu’on s’imaginait. Ces symboles n’ont pas été récupérés par un malade qui a trippé dessus. Ils ont été créés par lui, ou eux. Mais ce n'est pas tout : La ou les personnes qui ont fait ça sont en tout cas des amateurs éclairés, ce qui veut dire qu'ils ont une connaissance des anciens cultes particulièrement étendue. Elle a commencé à me faire toute une théorie là-dessus, mais je me suis dit qu’il valait mieux qu’on soit là tous les deux quand elle nous ferait son topo. En plus elle avait besoin de farfouiller dans ses bouquins pour voir, parce qu’il y avait des tas de choses qui lui paraissaient familières. Apparemment, ces symboles représentent un culte nouveau mais qui a, comme les vieux qu’on connaît, des tas de ressemblances avec d’autres plus anciens. Bref tout ça pour te dire que demain nous sommes invités à une conférence privée de la Professeure Heather Finn à l’Université de Miskatonic. Je pense que tu vas bien t’amuser, mais peut-être pas autant qu’aujourd’hui.
-« Je suis vraiment obligée d’y aller ? »
-« J’en ai bien peur. Elle nous propose un angle très intéressant qui va évacuer un paquet de gens de notre liste de suspects. Et puis c’est pas tous les jours que notre boulot nous permet de rencontrer une telle pointure. »
-« Bon, puisqu’il le faut… Mais je te préviens, si ça dure trop longtemps je te laisse avec ta vieille scientifique et je retourne au bureau. »
-« Tout ce que tu voudras. Et notre petit gars, alors ? Qu’est-ce qui s’est passé exactement ? »
-« Stan ? Tu en sais autant que moi. Je faisais une petite visite des entrepôts autour de la scène, la routine, et je tombe sur un petit groupe. Et au moment où je commence à leur parler, il arrive, et il se met à courir. J’ai suivi, tu me connais. Honnêtement, j’ai un peu honte. Je sais pas vraiment pourquoi, mais j’ai vraiment eu l’impression qu’il pouvait nous apprendre quelque chose. »
-« On va voir ce qui se passe. Ça ne coûte rien de lui poser deux-trois questions et de le ramener chez lui. »
-« Tu sais ce que j’ai remarqué ? Il n’y a presque plus personne dans le quartier des entrepôts. Comme si quelqu’un avait fait le ménage. Tu sais ce que ça veut dire. »
Geoff hocha la tête, songeur. Une personne (ou un groupe) qui aurait réussi à se débarrasser des SDF avant de commettre un crime serait considérée comme extrêmement compétente. Mais aussi, et cela leur donnait un peu d’espoir, de particulièrement paranoïaque. Il y avait bien longtemps que la police d’Arkham n’écoutait plus les témoignages des habitants des entrepôts, les avocats de la défense comme les procureurs ayant jusqu’ici toujours réussi à discréditer leurs témoignages. Il se balança sur sa chaise, d’avant en arrière.
-« Qu’est-ce qui réussirait à faire peur à des gens qui n’ont rien ? »
-« Tu commences aussi à sentir quelque chose de pourri au royaume de Danemark ? »
-« Ouais. Va falloir qu’on avance vite sur ce coup… »
Mantoni écrasa sa cigarette. Stan devait avoir à peu près fini, et il avait peut-être quelque chose à leur apprendre. Il le fallait. Un bruit de verre qui se brise se fit entendre. Les deux flics bondirent sur leurs pieds et se précipitèrent en haut des escaliers.

Andy Brown éteignit la télé. Ils étaient nuls les cartoons cet après-midi. Il soupira, et se dirigea vers la cuisine. L’horloge sur le four indiquait quatre heures et demie, Maman et Papa seraient là d’ici une petite heure. Il avait des devoirs à terminer, mais il n’en avait que pour cinq minutes. Il allait les finir avec Papa, et voilà ! Il prit un gobelet qui séchait sur le rebord de l’évier, et se remplit un grand verre de Coca. Les petites bulles résonnaient à travers le plastique. Il aimait bien ça. Il prit un second gobelet et le remplit puis, précautionneusement pour ne pas avoir à éponger du Coca toute la soirée, il se dirigea vers la chambre de son frère Michael. Celui-ci jouait à la console. Il s’empara du verre de Coca que lui tendait son frère et lui frotta la tête avec sa main.
-« Eh ben, ‘Dy, tu t’ennuies ? Tu veux jouer à un truc avec moi ? »
-« Bof… dit Andy, j’aimerais mieux aller jouer dehors. »
-« Tu peux y aller si tu restes dans le lotissement. Ou alors tu peux attendre que je trouve une sauvegarde et on ira en ville tous les deux. »
-« Cool ! »
Michael avait seize ans, et, contrairement aux grands frères de tous les copains d’Andy, avait toujours un peu de temps à lui consacrer. Andy s’assit et regarda un moment son frère jouer. Un bruit dans l’entrée. Peut-être Papa et Maman qui rentraient plus tôt. Les deux garçons sortirent de la chambre. Étrange… Ils les auraient entendus discuter. Michael fronça les sourcils. On aurait bien dit la porte, pourtant. Ils tendirent l’oreille. Plus rien. Quoique. Il y avait comme un cliquetis derrière la porte, comme si quelqu’un tapait légèrement de l’ongle… Michael leva la voix : « J’appelle les flics, bâtard ! ». Il avait parlé avec sa meilleure voix de racaille, qui faisait tellement rire Andy. Soudain, le cliquetis se tut. « Bizarre, dit Andy ». Il avait un petit peu peur. Son frère lui serra gentiment l’épaule : « T’en fais pas. Ils sont partis, quoi. » Il avait de nouveau parlé avec sa voix de racaille. Andy éclata de rire. « Bon, allez, mets tes chaussures, on va aller manger une glace. » Andy s’exécuta. Michael vérifia ses lacets. Alors qu’ils sortaient de l’appartement, deux chiffons chloroformés furent plaqués sur leurs visages...

lundi, mai 01, 2006

Arkham(7)

Mantoni conduisait. Geoff était assis à côté du clochard. C’était leur procédure standard. Rebecca était par trop impressionnante pour mettre les suspects en confiance, et perdait trop facilement patience. Geoff se tourna vers leur « suspect ». Suspect, il l’était par son comportement, mais il ne correspondait absolument pas au profil du ou des tueurs qu’ils recherchaient. Manifestement terrorisé, hirsute et sale, maigre comme un clou, il aurait été incapable de commettre un meurtre, et c’était un miracle qu’il ait réussi à garder sa partenaire à distance pendant aussi longtemps (bien qu’il la soupçonnât de s’être laissée distancer par jeu). Il ne pipait mot, se contentant de regarder par la vitre, les yeux vitreux. Geoff n’avait encore pu observer son visage, que l’homme avait tourné immédiatement aussi loin de lui que son cou le lui permettait. Il se pencha entre les sièges pour discrètement demander à Mantoni si elle l’emmenait au poste. Celle-ci, haussant la voix, répondit « Non, on l’emmène pas au poste. On va trouver un coin tranquille pour s’occuper de lui». L’homme sembla s’agiter un peu. Geoff sourit. Il avait bien une petite idée sur le lieu où ils finiraient leur course et, s’il avait raison, il n’y avait pas de quoi avoir peur.
-« Tu sais ce que les huiles ont dit la dernière fois, reprit-il, d’un ton un peu anxieux. »
-« Que veux-tu, reprit-elle, j’aime bien que mes clients répondent quand je leur pose des questions… »
-« Si tu penses que c’est nécessaire… »
-« Appelle Hong et dis-lui qu’on ne sera pas chez lui avant un bon moment, dit-elle en se retournant pour lancer à l’homme un sourire carnassier. »
Tandis que Geoff s’exécutait, promettant à Hong de venir au moment exact où ils auraient terminé, et s'empressant de couper la communication avant d’entendre les récriminations sans fin du scientifique, Mantoni éloigna la voiture du centre ville, et partit vers la banlieue. La tension à l’intérieur du véhicule était palpable, leur prisonnier se montrant toujours aussi peu loquace mais de plus en plus agité. Il s’était même retourné un instant vers Geoff, les yeux implorants. Geoff lui rendit un regard neutre, presque contrit : « Mon vieux, j’aimerais bien, mais comprenez-moi, c’est elle qui commande». Il en profita pour étudier d’un peu plus près les traits de l’homme : il lui semblait assez jeune, guère plus de 30 ans, ce qui excluait l’hypothèse du drogué ou de l’alcoolique de longue date, ces deux types de personnes paraissant cinquantenaires quels que soient leurs âges, surtout dans la communauté sans domicile. Ses yeux étaient d’un noir très profond, se confondant presque avec la pupille. Ses traits étaient tirés ; ses dents, pas encore ravagées. Mais ce qui se lisait le plus sur son visage, c’était la peur. Une peur panique, une peur réalisée, une peur quasiment inhumaine, tellement elle le faisait ressembler à un animal blessé. Geoff se demanda ce qui avait pu lui arriver, ce qu’il avait pu voir dans sa vie pour craindre quelque chose à ce point.
Ils étaient finalement arrivés. Hors de la ville s’étendaient des bois de conifères sur plusieurs kilomètres carré, et Mantoni avait trouvé une petite aire de parking proche d’une cabane de bûcheron. L’homme quitta Geoff des yeux pour voir ce qui se passait, et essayer de découvrir où ils étaient. Mantoni coupa le contact, descendit, et ouvrit à Geoff. « Prends le groupe électrogène dans le coffre… La pelle aussi...» Geoff sortit et se dirigea vers l’arrière de la voiture. Reb était une grande cinglée par fois, mais elle obtenait presque toujours des résultats. Il prit la pelle dans le coffre, guettant les réactions de l’homme qui les observait tous deux, incrédule. Mantoni ouvrit la porte et détacha les menottes. « Bien, mon brave monsieur, je pense que vous savez pourquoi nous sommes ici, dit-elle, toujours avec ce même sourire de loup. Vous m’avez beaucoup donné de peine, et je me dois de donner un exemple ». Sous sa poigne de fer, l’homme commençait à se tortiller, mais rien ni personne ne pouvait échapper à Mantoni lorsqu’elle l’avait décidé. Elle ficha ses yeux dans ceux de son prisonnier et lui demanda d’une voix dure : « Pourquoi vous êtes-vous enfui ? ». Silence. Mantoni réitéra. L’homme semblait déchiré par un conflit intérieur d’une force inouïe. Il semblait à la fois vouloir tout raconter, en finir avec cette improbable situation, ces flics cinglés, ce coin de forêt perdu, l’homme à la pelle, mais aussi échapper à un destin que Geoff et Mantoni devinaient funeste, cauchemardesque, intolérable. Elle fit un signe à son équipier, et tirant l’homme derrière elle, l’entraîna en direction de la cabane. Geoff frappa. Des pas lourds se firent entendre. La porte s’ouvrit, et un homme gigantesque sortit :
-« Eh ben les jeunes, qu’est-ce que vous m’amenez là ? »
Mantoni confia le sans domicile à Geoff, et prit le géant à part :
-« Un type qui a besoin d’un bain chaud et de fringues. Dans un coin sans trop d’issues. Disons que j’aimerais beaucoup discuter avec ce brave homme, et que j’espère le mettre suffisamment en confiance pour qu’il me renseigne sur des trucs louches. Je te passe les détails ».
-« T’as bien fait de me l’amener. Tu penses qu’on le recherche ? Faut que je passe en état d’alerte ? »
-« Non, je ne pense pas. »
Elle fit signe à Geoff d’approcher, et lança « Je t’ai rapporté ta pelle et ton groupe électrogène. » Ils entrèrent dans la cabane. « Je vous présente Harry Stone, dit-elle au sans-abri, complètement éberlué, mais qui semblait s’être détendu un peu. Il va vous indiquer où vous pourrez vous débarbouiller un peu et vous filer des frusques un peu moins décaties. Ensuite, on parlera un moment, on vous ramènera, et vous serez libre de faire ce que vous voulez. Vous avez un nom ?» Le petit homme lâcha, d’une voix qui était presque un murmure : « Stan. »
-« Je peux vous faire confiance, Stan ? »
-« Je partirai pas. »
Harry le prit par le bras, et l’entraîna à l’étage. Mantoni et Hart se dirigèrent vers le salon et s’assirent.
-« Alors, qu’est-ce que tu as appris auprès de notre éminente scientifique ? demanda-t-elle. »

vendredi, avril 28, 2006

Quickie english update

Some weird pictures have popped up somewhere on this great internet playground. I just want to set the record straight (well, set the record bi, at least) : I look much, much cooler as a super hero, and anyone who knew the great VautourMan will testify in my favor. This has been a very interesting week so far, and as you may have noticed from the complete absence of posts I was booked and over booked, and actually spent the best of these past couple days in the basement of a weirdly named bulding (Uni-Pignon). Although there were a few weird windows in the ceiling, absolutely no girl wearing a skirt has walked over them, hence making the days dull, dull, dull... Actually it wasn't really really bad, just kind of rushin' and rushin' and rushin, Lausanne-Geneva, Geneva-Lausanne, have expressos every two hours or fall asleep on the table. I am actually not complaining, I learn many splendiferous things about many fantabulous subjects (although I will not discuss them here, it is late and I want to be thinking about something besides social psychology once a day at least). Wendy's blog has some updates about what I did today for lunch, if you have nothing better to do than check my cameos in other people's lives.

On another completely different subject, remember Vermine ? It's linked somewhere on this very site, and some of you may have had a look at it. Well, as a GM, I was a bit frightened by the universe (I would like, with this particular game, to create a playground for my players that they are entirely free to explore and act in with a lot of freedom, which means that I have to become a better GM), which led me to procrastinate quite a bit before even character creation. As of last Wednesday, my proud and talented players have built their group and their characters, and our first actual game is set to next Thursday. It's all starting to click into place now that I have a clearer idea about what my friendies seem to want from it, and it may shape up to be a very good experience.

Finally, for those of you who are eager to know more about the mysteries of Arkham, I promise I will try to continue the story next week, when things turn less hectic. Sorry about the delay, gang ! It is now time for me to bid you all goodnight.

mardi, avril 11, 2006

Arkham (6)

Mantoni aimait courir. Elle s’habillait d’ailleurs toujours en prévision de ces moments, qu’elle attendait avec une délectation ne seyant pas au grade qu’elle avait déjà atteint. Peu importait. Elle était toujours prête à se jeter à la poursuite d’une piste, et même parfois à la poursuite de n’importe quoi, témoins, simple quidams, etc. Aujourd’hui, alors qu’elle avait la possibilité de joindre l’utile à l’agréable, elle se sentait euphorique. Le petit homme avait sur elle quelques longueurs d’avance, mais elle savait qu’elle allait le rattraper. Un sourire carnassier éclairait son visage, lui donnant l’allure d’un grand fauve, une bête puissante et leste, inéluctable pour le devenir de sa proie. Déjà, elle sentait l’homme se fatiguer, remarquait des irrégularités dans la foulée, des accrocs dans la respiration. Elle, par contre, maîtrisait parfaitement son corps, qu’elle entretenait à la manière d’une mécanique de haute précision. Malgré cette différence de niveau, l’homme semblait avoir l’énergie du désespoir, et réussissait toujours à se reprendre, à accélérer de plus belle chaque fois qu’il la sentait gagner sur lui. Sa fuite le menait vers la sortie du secteur des entrepôts, vers l’Université. Elle risquait de le perdre, une fois qu’il aurait rejoint les rues plus fréquentées. Elle se tendit de plus belle, et se précipita sur les talons de l’homme. Une première fois, elle faillit le saisir par le col de sa veste, mais il esquiva prestement sa main, redoublant ses efforts. « Arrêtez-vous, hurla-t-elle, je veux simplement vous parler !» Aucun résultat. Remerciant presque l’homme de l’entraîner ainsi dans sa fuite, elle continua ainsi à courir, ne pensant presque plus, ressentant seulement les chocs de ses semelles sur l’asphalte, sa respiration d’une régularité parfaite. L’université n’était plus qu’à quelques centaines de mètres, se dressant de toute sa splendeur gothique devant sa proie. Il allait falloir terminer, et vite.
Tentant le tout pour le tout, Mantoni accéléra encore, puis se jeta en avant sur l’homme, le ceinturant de ses deux bras. Tous deux roulèrent à terre. Le petit homme se débattait tant et plus, la repoussant de toutes la force de ses jambes. Il finit par lui heurter le menton d’un coup de pied. Surprise, elle cessa une fraction de seconde de l’agripper, ce qui lui permit de se remettre sur pied avant de repartir de plus belle. Mantoni, un peu vexée, mais toujours ravie, se leva à son tour et se remit à courir. Il était clair que l’homme était à bout de forces. Elle le suivit facilement jusqu’à la rue, restant au plus près de lui, mais ne tentant rien pour l’instant, profitant de cette occasion de se défouler. Alors qu’ils arrivaient tous les deux à la hauteur de l’entrée du bâtiment des Sciences Humaines, une voix lui parvint : « Allez patronne, on arrête de jouer avec le petit monsieur ! ». Geoff, ne la connaissant que trop, ne serait jamais physiquement intervenu dans une poursuite. Le petit homme lui était passé devant sans même qu’il n’esquisse le moindre mouvement. « J’arrive ! dit Mantoni, lui faisant un petit signe signifiant que tout allait bien. » Elle redoubla de vitesse, et se retrouva quasiment à la hauteur de sa proie.
Finalement, presque à regret, elle lui saisit le bras d’une poigne de fer. Le petit homme plongea dans ses yeux un regard terrifié. Elle le força à ralentir, soutenant son regard, tentant de le rassurer. Elle n’avait après tout aucune raison de le soupçonner de quoi que ce soit, et elle essaya de le lui faire sentir. Elle entendait sa respiration saccadée, sentait son pouls dans tout son bras. Il allait finir par mourir sous l’effort. Elle s’arrêta brusquement, resserrant son étreinte. L’homme hésitait. Il ralentit, mais Mantoni eut la nette impression qu’il aurait suffi d’une faiblesse pour qu’il reparte de plus belle, tel un animal pris au piège. Elle ne lui en laissa pas l’occasion. Elle le tira par le bras en direction de Geoff, qui attendait près de sa voiture, fumant une cigarette. Elle reprit son souffle, calmement, sûrement, et installa l’homme à l’arrière de la voiture. Il n’avait pas dit un mot. Geoff lui alluma une cigarette :
-« Dis-moi que ce type n’est pas notre génie du crime… »
-« Aucune chance. En fait je l’ai juste trouvé un peu louche. »
-« Louche ? Si ça se trouve c’était juste un type en train de faire son petit footing du matin. Tu sais ce qui t’est arrivé la dernière fois… »
-« Je crois pas. C’est probablement un pauvre type un peu cinglé qui a pris peur en voyant débarquer les poulets. »
-« Remarque, tu peux être particulièrement impressionnante, quand tu veux. »
-« Ouais. Mais là je suis pas sûre qu’il a bien remarqué ma stature de déesse grecque. Il y un truc de pas net qui se passe dans les entrepôts. Un truc qui fait peur aux clochards. Pas seulement les descentes, pas seulement les racailles, un truc plus profond… »
-« Et tu as une idée de ce que ça peut être ? »
-« J’en sais rien… J’en sais rien. Mais il va falloir qu’on creuse un peu profond là-dedans, parce que je n’aime pas du tout la tournure que prennent les événements. »

lundi, avril 03, 2006

Arkham (5)

Ça faisait trop longtemps. Mantoni se redressa d’un bond derrière son bureau. Geoff passait un temps fou à parler avec la prof, le département des personnes disparues faisait preuve de son efficacité habituelle, Hong ne l’avait pas encore rappelée avec les résultats, elle n’avait plus de cigarettes, et le café était particulièrement immonde aujourd’hui. Elle attrapa son manteau en sortant, puis claqua la porte du bureau derrière elle. Personne ne sembla surpris. Ils s’étaient habitués, pas de nouvelle recrue depuis un moment. « Si on me cherche, je suis dehors », jeta-t-elle à la cantonade. La secrétaire des détectives lui fit un petit signe, et un grand sourire. S’emparant d’une radio, Mantoni s’engouffra dans les escaliers. Toujours pas d’identité sur les victimes, donc rien de possible de ce côté-là. Toujours pas de lieu du crime (la scène avait été suffisamment « propre » pour exclure l’accomplissement des tortures sur place). Restaient l’entrepôt et ses résidents occasionnels. Ou des étudiants qui se seraient installés pour fumer un pétard et qui auraient entendu ou vu quelque chose de suspect. En gros, il allait lui falloir une chance pas possible. Pas grave. Au moins, elle était sortie de son bureau, elle ne tournait plus comme un lion en cage, et elle se sentait au final plutôt bien.
Elle se dirigea vers le quartier universitaire. Les rues, ici, étaient larges et pavées, et bien peu de voitures circulaient. Elle croisa plusieurs petits groupes d’étudiants, rentrant des cours ou se dirigeant vers l’une des nombreuses terrasses de la rue, mais, concentrée comme elle l’était, elle les remarqua à peine. Les mains dans les poches, avançant d’un air décidé, elle avait tendance à suffisamment impressionner les passants pour ne jamais avoir à ralentir. Enfermée comme elle l’avait été dans son bureau pendant une matinée entière, elle n’aurait toléré aucune interruption. Elle fulminait intérieurement. Qui étaient ces gens ? Qu’est-ce qu’ils avaient dans le crâne ? Est-ce qu’ils allaient recommencer ? Est-ce qu’ils allaient faire une erreur ? Combien étaient-ils ? Un jeune homme seul manqua de lui rentrer dedans. Il était mignon dans le style jeune premier plein de fric, et, sans doute habitué à tout régler d’un sourire, lui fit miroiter ses dents trop blanches. Elle continua sans s’arrêter, en lui balançant un malencontreux coup de genou dans une cuisse. Le sourire se crispa. « Connasse », il avait dit, sans doute surpris de ne pas avoir fait son petit effet. Elle s’arrêta. Il avait repris sa route. « Protéger et servir, protéger et servir, protéger et servir… » Elle prit une grande inspiration. Elle hésita une fraction de seconde. Puis reprit son chemin d’un pas encore plus déterminé.
Elle arrivait à l’entrepôt lorsque son téléphone sonna. Hong avait les résultats des analyses de traces. Elle lui promit de passer avec Geoff dès qu’ils auraient fini leurs boulots respectifs, et demanda à celui-ci de la rejoindre quand il aurait terminé. Les entrepôts proches de Miskatonic avaient, il y a très longtemps, servi de stocks pour les pêcheurs d’Arkham et des alentours, puis, plus tard, à la faculté d’ethnologie, qui avait financé plusieurs expéditions, dans les Caraïbes notamment. Elle fit le tour des entrepôts, commençant par les plus proches de la scène. Pas un bruit, pas un signe de vie, ce qui était normal, les squatters restant la plupart du temps discrets. Elle pénétra dans celui qui jouxtait l’entrepôt numéro 8, où les corps avaient été disposés. Les fenêtres étaient recouvertes d’une couche de poussière impressionnante, mais le soleil était suffisamment fort pour ne pas qu’elle sorte sa torche. Elle fit le tour, enjambant les restes de vieilles caisses de bois pourri, les seringues et les mégots de joints. Personne. Personne, et, ce qui était plus étonnant, pas de traces de passage récentes. Les entrepôts, tous les entrepôts étaient régulièrement investis par des logeurs sans le sou, qui profitaient justement de l’immense place pour s’installer à l’écart les uns des autres, limitant ainsi les conflits. Ce lieu semblait figé, et il y régnait comme une aura de menace. Elle scruta les lieux de plus belle, mais l’impression demeura : Personne n’avait squatté ici depuis au moins deux mois, elle en aurait mis sa main au feu. Et ça, ça voulait dire que soit les SDF avaient trouvé mieux pour s’installer, et moins cher, soit que le crime avait été encore plus soigneusement préparé qu’elle l’avait imaginé. Elle sorti de l’entrepôt et passa au suivant, s’éloignant le moins possible. Ici non plus il n’y avait pas de traces, pas de marques suggérant la vie. Pas de vieilles boîtes de conserve encore humide, pas de couvertures, rien… Mantoni continua son exploration des entrepôts environnants. Tout semblait suggérer que la scène du crime avait été, plusieurs mois auparavant, entourée d’une zone interdite. Quelqu’un avait pris les mesures nécessaires pour ne pas avoir de témoins, ce qui suggérait un ou des tueurs particulièrement organisés. Elle sortit du complexe des entrepôts, décidée à trouver quelqu’un qui saurait lui dire ce qui s’était passé, pourquoi la population de sans-abri avait soudain déserté un bon quart de son territoire, et s’il y avait malgré tout un seul putain de témoin de quoi que ce soit. Elle commença à réfléchir, à élaborer des pistes, des hypothèses, des scénarios. Quelque chose se tramait ici, quelque chose de dérangeant. Un sentiment d’euphorie mêlée de rage commença à l’envahir, et elle sentit se dessiner sur son visage un sourire carnassier. Elle était tendue à se rompre, tous ses sens en éveil. Elle reprit sa marche en direction des entrepôts les plus éloignés.
Arrivée à celui qui se trouvait le plus près de la mer, elle ouvrit la porte avec fracas. Elle attendit que les bruits de pas affolés se calment avant de pénétrer dans l’entrepôt, puis se dirigea vers le centre de la grande pièce. « Police, Messieurs-Dames, et que je ne voie pas d’énervés s’il vous plaît, j’ai les nerfs ! Je viens pas vous déloger, ni voir ce que vous fumez, je veux juste des putains de réponses à mes putains de questions ! Y aura peut-être un peu de sous à récolter pour les plus bavards. Approchez, approchez ! On s’approche et on discute, et on énerve pas la gentille inspectrice ! ». Elle attendit. Des paroles étouffées lui parvenaient, ils étaient en grande discussion. Soudain, elle perçut un mouvement derrière elle. Un petit homme malingre était entré dans l’entrepôt, et avait aussitôt pris la fuite. Merde ! Il n’y avait que deux genres de types pour s’enfuir comme ça : les paranoïaques, et ceux qui avaient peur pour toutes les bonnes raisons. Sans hésiter, Mantoni se lança à sa poursuite.

lundi, mars 27, 2006

Arkham (4)

Steve Adler profitait du beau temps. Il avait pas mal bossé ces derniers jours, et il était content d’avoir pris son mercredi. Il avait passé quelques heures sur la plage ce matin-là, à lire ou rêver, bercé par la lente respiration de l’Atlantique. Puis il était allé manger des fruits de mer au marché, appuyé contre l’un des étals alors qu’Amos, son marchand de poisson favori lui racontait des histoires de monstres marins, de sirènes et de pirates fantômes. Il aimait beaucoup Amos. Issu d’une famille de cordonniers arméniens arrivés un demi-siècle plus tôt sur le continent, celui-ci avait « tellement aimé la traversée qu’il avait repris immédiatement la mer », encourant les foudres de son père qui souhaitait qu’il reprenne le métier. Qu’importe ? Il s’était engagé comme mousse sur un chalutier, et avait petit à petit appris le métier de marin, et acquis un sens des affaires suffisant pour survivre malgré la pêche industrielle. Et puis surtout, il y avait ses histoires. Il s’était constitué, grâce à la bibliothèque d’Arkham, une fabuleuse collection d’histoires de marins, qu’il racontait toujours en se faisant héros ou témoin. Pince-sans-rire, il s’attribuait des hauts faits d’armes, des conquêtes féminines par centaine, et des rencontres avec toutes sortes de créatures. Bien que son accent se fusse peu à peu estompé depuis le temps, il s’en servait pour raconter ses histoires, variant la prononciation selon les personnages et les situations, ce qui faisait de chacune des visites de Steve un enchantement toujours renouvelé. Repu de moules, de coques et de palourdes, celui-ci finit par partir, serrant la main du vieil homme qui l’avait diverti. Amos lui sourit et lui dit, comme à son habitude : « Adieu, mon ami, et méfie-toi du Kraken ! ». Steve lui fit un petit signe de la main, prit sa voiture, et se dirigea vers le centre ville. Il posa sa voiture près de chez lui, et partit à pied vers un petit square, pour lire, et peut-être, se dit-il, prendre quelques clichés. Il s’assit, et laissa s’échapper un soupir d’aise. La journée avait bien commencé, et elle semblait continuer sur sa lancée. Il prit son bouquin, cala sa cheville sur sa jambe, et se mit à lire. La température était exquise, le banc, confortable. Le bouquin, un thriller à quatre sous exposant une ridicule théorie sur le Vatican (une de plus !), était toutefois agréable à lire, mais pas suffisamment bon pour le tenir éveillé. Il commença à dodeliner de la tête, résista une première fois, une seconde, puis, haussant les épaules, se laissa doucement glisser dans le sommeil.
Un bruit derrière lui le réveilla en sursaut, un craquement de branche. Un chien, sans doute. Steve s’étira, et se redressa un peu sur le banc. Regardant sa montre, il s’aperçut qu’il avait dormi une bonne heure. Il regarda autour de lui : le square était désert, les enfants n’étaient pas encore sortis de l’école. Il se retourna, pensant flatter le chien qui l’avait réveillé. Ce qu’il vit en se retournant vers le buisson le terrorisa, mais le chiffon chloroformé qui lui bloqua la bouche coupa son cri avant qu’il ne puisse franchir ses lèvres.

Cindy Ratchett, contrairement à ce que pouvait laisser penser son prénom, n’était ni une ingénue, ni un top model. C’était une jeune femme grande et athlétique, affublé d’un nom caricatural (qu’elle avait, par ailleurs toujours détesté). Elle travaillait comme informaticienne dans une grande boîte chargée de faire de la publicité pour plusieurs grandes marques, et elle était, comme en tout ce qu’elle entreprenait, l’une des meilleures. Elle avait la rage, elle avait la classe, elle allait vite, et elle filait droit. Et elle se rendait en ce moment à sa voiture après une journée de totale efficacité professionnelle. Elle était même partie un peu plus tôt que ses collègues et, seule dans le sombre parking souterrain, elle marchait vite, très vite. Non pas qu’elle eût peur (elle était ceinture noire de Krav-Maga), mais elle avait toutes les raisons de se presser : Son mari, Pete, instituteur, était sans doute aux fourneaux depuis le milieu de l’après-midi. Il lui avait promis des tournedos Rossini et un de ses génialissimes gratins dauphinois, et elle marchait vite pour pouvoir profiter des délicieuses odeurs de sa cuisine. Il fallait qu’elle aille chercher du vin, un Bordeaux probablement. Elle atteint sa voiture en un rien de temps, et se glissa derrière le volant. Elle n’eut pas le temps d’enfoncer la clé dans la serrure, ni même de se retourner, avant qu’un chiffon tenu par une main gantée ne se referme sur sa bouche. L’odeur de chloroforme l’assaillit immédiatement, mais elle parvient à s’arracher à l’emprise sans trop de peine. Sa tête commençait à lui faire mal, mais elle usa de toute sa volonté pour sortir de la voiture, et à courir en direction de l’ascenseur. Un coup fulgurant la jeta au sol. Sa respiration fut coupée, tous ses membres endoloris. Un Taser ! L’enfoiré l’avait électrocutée. Elle se concentra un maximum, banda tous ses muscles, et parvint à se remettre debout, mais tomba nez à nez avec son assaillant, qui plaqua à nouveau son chiffon sur son visage. À travers ses larmes de rage, Cindy aperçut enfin le visage de son agresseur. Elle accueillit le trou noir de l'inconscience comme une bénédiction.

mardi, mars 21, 2006

Arkham (3)

Geoff frappa, attendit une réponse qui vint tout de suite, et entra. Le bureau de Finn n’était pas dans le même état que l’entrée de l’institut de philologie. C’était une grande pièce bien éclairée, confortable, sentant les infusions aux fruits et le vieux bois. Les murs étaient eux aussi tapissés d’étagères, mais chacun des ouvrages s’y trouvant était soigneusement aligné. En entrant, sur la droite, on pouvait voir trois fauteuils de salon autour d’une petite table d’acajou puis, juste derrière, un piédestal de marbre sur lequel reposait un coffret de bois richement décoré, fermé d’une vitre et d’un cadenas Kerberos 161 (un des plus durs à faire sauter, pensa Geoff). Au fond, un grand bureau, en acajou lui aussi, lui faisait face. Heather Finn y déposa la loupe qu’elle tenait à son entrée et s’approcha de lui. C’était une femme d’âge mûr, l’air particulièrement énergique et amical. Elle s’était redressée avec peine avant de se lever, une déformation professionnelle sans doute, mais une fois levée elle s’était déplacée sans aucune gêne, et lui avait saisi la main avec une force qui le surprit.
- « Bonjour, Monsieur Hart, je suppose ? » dit-elle avec une voix à la fois autoritaire et chaude.
- « Appelez-moi Geoffrey, Professeur », répondit Geoff, en lui rendant sa main.
- « Professeur, c’est un peu formel. On va passer directement aux prénoms, d’accord ? On sera plus à l’aise, on aura l’air moins vieux, et j’aurais moins l’air de vouloir faire comme les collègues. Que puis-je pour vous, mon cher Geoffrey ? Puis-je vous offrir un thé ? J’ai bien peur de n’avoir rien d’autre à vous proposer, en tout cas sans alcool… À votre air très professionnel je suppose que vous êtes du genre ‘jamais pendant le service’… Ce qui n’est pas un mal. J’ai un mari qui est mort de ne pas avoir suivi cette ligne de conduite : il était archéologue, une tombe piégée, un bloc de pierre, enfin je vous passe les détails. Du thé, donc ?»
- « Volontiers », répondit Geoff, un léger sourire aux lèvres.
Elle lui fit signe d’aller s’asseoir dans l’un des petits fauteuils et s’affaira sur une petite bouilloire derrière son bureau. En passant, Geoff jeta un œil au coffret de bois posé sur le piédestal. Il contenait un énorme grimoire, ouvert à une page représentant un corps d’homme réalisé avec une grande minutie, mais affreusement déchiqueté, coupé, brisé, écorché de toutes les manières possibles. Chaque blessure était accompagnée d’une légende. On aurait dit un manuel de médecine du XVIIe siècle, mais comme détourné de toute velléité de soins. Comme si le livre était un manuel de mutilation et de torture. Les gravures lui firent froid dans le dos.
« Ah, je vois que vous regardez mon Necronomicon ! Plutôt réussi, n’est-ce pas ? On raconte que les serviteurs des Grands Anciens s’en servaient lors de leurs rituels impies pour réveiller leurs grosses bébêtes. Si on arrive à le déchiffrer, on doit pouvoir faire de la magie et invoquer toutes sortes de créatures monstrueuses. Enfin, si l’on ne devient pas complètement fou. On entend tout et n’importe quoi sur ce livre. Pouvoir infini, fortune et gloire, tout ça. Malheureusement, personne n’a jamais prouvé son existence. Celui que vous voyez n’est pas vraiment un faux, et il est parfaitement conservé, mais il n’a de valeur que pour les historiens, et plus par rapport aux techniques de gravure qu’au contenu, plutôt ennuyeux, d’ailleurs. Je le garde parce qu’il vaut très cher, et pour me rappeler que le vrai, malgré toutes nos avancées techniques, est plus flou qu’on ne le pense. »
Geoff sortit de sa poche les reproductions des symboles trouvés sur la scène du crime. Lorsqu’elle revint s’asseoir près de lui, lui passant son thé, il avait disposé les papiers sur la petite table, et s’était assis sur un des fauteuils, particulièrement confortables.
« Je vous ai mis sur cette table des symboles trouvés sur une scène de crime. Il y avait une certaine logique dans la disposition de la scène qui nous a fait penser à des meurtres en rapport avec l’occulte. »
Le premier des dessins représentait une sorte de mille-pattes stylisé, enroulé autour d’un disque. Finn se pencha dessus pendant un moment, pensive. Puis elle se saisit du suivant. Il représentait un homme agenouillé devant une masse protoplasmique et grotesque rappelant un crabe, ou peut-être un scorpion. Elle le fixa intensément, ne le quittant des yeux que pour boire une gorgée de thé. Elle le reposa enfin pour passer au dernier dessin, une sorte d’éclipse solaire. Geoff, patient, sirota son infusion en regardant le ciel par la grande fenêtre derrière le bureau. L’automne ne faisait que commencer, et le soleil brillait encore dans un ciel sans nuages.

lundi, mars 20, 2006

Arkham (2)

Geoffrey Hart se sentait très, très mal à l'aise. Les universités, et surtout Miskatonic, avaient le don de lui flanquer la chair de poule. L'ambiance feutrée, les pas étouffés, les toux discrètes, contribuaient à lui hérisser l'échine. Plus jeune, il avait eu la possibilité d'aller à Yale, grâce à d’excellents résultats scolaires, mais le jour même de l'entretien d'entrée, il avait senti ce sentiment diffus de ne pas être à sa place, de ne jamais pouvoir s'y sentir bien. Malgré le magnifique campus, le prestige de l’institution, et les fêtes somptueuses étant censées s'y donner, il s'était juré de ne plus remettre les pieds là-bas. Il avait rejoint l'académie de police à la place, et avait passé l'examen du barreau en suivant les cours du soir. Et même les quelques heures hebdomadaires qu'il passait à Miskatonic l’avaient passablement irrité, à l'époque. Enfin... il avait au moins l'avantage de connaître un peu les vieux bâtiments de brique rouge, ainsi que la patience d’écouter un professeur expliquer quelques petites choses, contrairement à Rebecca. Il pénétra précautionneusement, presque pieusement, dans West Hall, d’où siégeait Heather Finn, la directrice de l’Institut de Philologie Occulte. La lourde porte de bois ne fit aucun bruit lorsqu’il l’ouvrit, et un silence lourd l’oppressa immédiatement. Geoff se raidit, inspira une grande bouffée d’air, et avança d’un air décidé dans le large couloir, cherchant des yeux la section de Philologie. Suivant tant bien que mal les informations indiquées sur les panneaux, souvent contradictoires, il finit par arriver devant une porte vitrée donnant sur ce qui semblait être un dépotoir de vieux livres et morceaux de papier déchirés. Le capharnaüm était indescriptible… Du sol au plafond, en plus des étagères sur chaque centimètre carré de mur, un fatras complet de vieux ouvrages jaunis, aux couvertures de cuir craquelées par le temps, des parchemins entreposés pêle-mêle, de papyrus semblant prêts à tomber en poussière... Geoff en fut abasourdi. Jamais il n’avait connu pareil désordre, sauf peut-être dans le bureau de sa supérieure en plein milieu d’une affaire, mais elle n’avait jamais eu autant de place ! Une fois remis du spectacle, il se décida à se remettre en route, mais un détail le fit se retourner : En lettres dorées, passablement défraîchies, était inscrit sur la porte Institut de Philologie Occulte, suivi d’un post-scriptum sur un post-it griffonné enjoignant les éventuels visiteurs d’Entrer sans crainte. Geoff hésita un moment, contemplant le spectacle de dévastation devant lui. À mesure qu’il s’habituait au désordre, il remarqua une certaine organisation dans le chaos. Il lui sembla que des passages un peu moins encombrés se dessinaient presque entre la porte vitrée et un certain nombre d’autres portes qu’il distinguait à peine. Cela promettait d’être toute une excursion. Il franchit néanmoins la porte, craignant de provoquer un glissement de terrain fatal. Mais les papiers restèrent à leur place, et il trouva sans peine le bureau de Finn. Il frappa à la porte…

lundi, mars 13, 2006

Arkham (1)

La commissaire Rebecca Mantoni fulminait seule dans son bureau, fumant clope sur clope et avalant l'immonde café du 1st precinct d'Arkham par grandes gorgées rageuses. Ça commençait à bien faire, les affaires merdiques que son vieil ami Loew lui faisait toujours passer. Elle inspira profondément, tentant de reprendre le contrôle d'elle-même, elle se pencha sur son bureau et s'empara du dossier. Une putain d'affaire... Cinq cadavres, tous plus massacrés les uns que les autres, retrouvés dans un des vieux entrepôts jouxtant l'université, parmi les seringues usagées et les vieilles capotes. Un lieu de passage quasi obligé pour les clochards, les drogués, et même les étudiants de première année en manque de sensation, rendant la collecte d'indices d'entrée absolument impossible - comment savoir si telle ou telle empreinte de pas provenait effectivement du ou des meurtriers, si telle ou telle fibre venait de ses fringues ? Elle se leva, tourna en rond dans son bureau pendant un moment. Ecrivit sur le tableau blanc les rares infos qu'elle avait pu vérifier avec un minimum de certitude : quintuple meurtre, victimes pas encore identifiées (merde !), arme du crime probable : machette ou hache quelconque (re-merde !), probable meurtre rituel (re-re-merde !), possibilité de récidive forte selon le profiler (de mieux en mieux !). Elle soupira. Loew avait tenu à ce qu'elle s'en occupe personnellement, et comme d'habitude elle avait accepté, dans la mesure où, même s'il lui arrivait de détester l'attorney general pour ses coups foireux, il avait en général du flair pour renifler les affaires pour lesquelles elle pouvait donner tout ce qu'elle avait. N'empêche, pour ce putain de puzzle, même la légendaire enquêtrice avait bien du mal à commencer. Un espoir, quand même : son partenaire, Geoff, était en ce moment même à Miskatonic pour parler avec une éminente sommité de l'occultisme pour tenter d'identifier tous les jolis petits gribouillis que les meurtriers (autant s'attendre à ce qu'ils soient plusieurs) avaient peinturlurés un peu partout autour et sur les cadavres. Elle se dirigea vers la salle de repos, où deux-trois flics de la ronde de jour discutaient football (l'équipe d'Arkham, les Squids, avait, pour la première fois depuis des années, une petite chance d'arriver au SuperBowl). Bien entendu, quand elle entra dans la pièce, les conversations se firent plus forcées. Elle salua ses troupes rapidement, demanda des nouvelles de la famille des uns et des autres, se resservit une gigantesque mug de l'immonde breuvage brun-beige, et retourna dans son bureau. Les photos de la scène de crime étaient étalées sur sa table de travail. Matthew Hong, le chef de l'équipe S.O.C., photographe de son état, avait une fois encore fait du super boulot. Le cadrage d'une photo de scène est toujours délicat, il est absolument nécessaire de ne pas atténuer ni renforcer la perspective, et Hong, comme dans tout ce qu'il faisait, était d'une minutie qu'elle avait toujours regrettée lors des affaires pendant lesquelles il n'était pas disponible. Sur le papier mat s'étendait dans toute sa macabre gloire le désastre qu'avait découvert un pauvre type qui cherchait juste un abri pour la nuit : cinq cadavres, tous masculins, éviscérés avec soin, leurs entrailles disposées en cercle autour de leur corps. Les mollets et les avant-bras avaient eux aussi été "travaillés" : ils avaient été raclés, et aucune chair ou presque ne restait, les os parfaitement visibles par endroits. Mais tout ceci n'était rien comparé à la sauvagerie, toutefois très précise, appliquée sur les têtes : Chaque crâne avait été fendu, et le cerveau extrait, presque intact. Mantoni connaissait l'état des cerveaux des victimes, parce qu'ils les avaient retrouvés. Les corps étaient disposés en cercle, dans la position foetale, la tête tournée vers le dos du suivant, et, au centre, quelqu'un avait disposé chacun de leurs cerveaux en étoile. Le pauvre clochard avait traversé la moitié de la ville en hurlant avant de se faire arrêter par une patrouille, qui lui avait filé une rouste, juste pour le plaisir (des "grands flics" du 2e precinct, le fief de Ferguson, une vraie pourriture), avant de se poser la question de ce qui le traumatisait comme ça. Le pauvre type était encore en état de choc à l'hôpital, ce qui ne pouvait lui faire que le plus grand bien. Elle allait peut-être même lui conseiller d'attaquer les flics en justice, histoire de faire en sorte que les boeufs-carottes aillent mettre un peu d'ordre chez Fergus' (Loew, qui détestait encore plus qu'elle le boss du 2ème, en serait ravi). Plus tard, peut-être. En attendant, elle se retrouvait avec une affaire merdique sur les bras, qu'il fallait résoudre, de préférence avant une récidive. Elle se replongea dans le dossier, et s'alluma une autre cigarette, en espérant que Geoff allait lui ramener des nouvelles...

dimanche, février 26, 2006

Morceaux choisis (2)

Dans la série "Mes vieux trucs dont je n'ai toujours pas honte aujourd'hui" : Une autre petite poésie mignonette :

Temps
Prends deux minutes dans ta main
Laisse passer entre tes doigts
Laisse passer les petits grains
De ta vie qui s'effrite en toi
Sable, sable, incessant progrès
Scandé par ce que ton coeur sait
Mécanique fuite du temps
Ta main est vide maintenant
Bonne semaine.

lundi, février 20, 2006

Reprise de Donj'

Bouddha est une étrange créature. Après l'avoir suffisamment carressé dans le sens du poil (et ce fut dur, oh, ce fut dur...) nous avons réussi à le faire rentrer lui aussi dans le monde fabuleux de la maîtrise de jeu de rôles. Et, comme il est un peu notre Grand Ancien à nous-non pas qu'il soit le plus vieux (en fait, si !)-nous avons réussi à le persuader de nous maîtriser Donj', ce qui est plutôt cool, dans la mesure où je me sens de moins en moins l'envie de le maîtriser. Là où les choses deviennent encore plus drôles, c'est que nous allons jouer dans X-Crawl, qui est une sorte de croisement entre Survivor et le Dungeon Crawling : Exploration oui, mais télévisée. Nos persos sont des explorateurs de Donjon façon Fort Boyard, sauf qu'on ne file rien du trésor aux pauvres (à moins que ceux-ci ne soient particulièrement fournis en objets magiques), des stars, des athlètes professionnels ! Une petite idée particulièrement bien trouvée pour donner un peu de pêche à un jeu qui a perdu pas mal de ses univers originaux en passant à sa troisième édition. Vendredi dernier, donc, Bouddha, s'armant de tout son courage, se rendit à Lausanne, dans la demeure de votre serviteur, les bras chargés des lourds ouvrages nous permettant de créer notre équipe de X-Crawlers sexy en diable. Bouddha étant la créature étrange qu'il est, avait bien entendu oublié de prendre ses dés. Manifestement impressionné par la somme colossale de boulot à accomplir (malgré une préparation absolument sans faille, il faut bien l'avouer), il eût bien du mal à tout faire, les besoins simultanés des joueurs grandissant de manière exponentielle lorsqu'il s'agit d'être efficaces et patients. Néanmoins, à la fin de toute ces aventures, et après avoir passé un samedi tout à fait agréable (bien que calme, l'idée de célébrer nos personnages nous ayant poussés à abuser un peu de la Vodka-Red Bull), notre presque MD est donc parti... sans les fiches de perso (il me laisse sans doute le loisir de les "polir" un petit peu en attendant son retour)... Alors, pour ceux que ces choses-là intéressent, voici l'équipe (pour l'instant sans nom) :
Pour le bourrinage : Rebecca, as Xelana : humaine, guerrière, elle a démarré la partie avec 4 dons, une épée large, et une batte de base-ball en alu, ainsi qu'une sympathique petite armure de microtoile. Elodie, en Ranger (au regard d'acier, bien entendu), capable de balancer des flêches comme s'il en pleuvait, ainsi que d'assurer presque aussi bien que la bourrine au corps-à-corps, une étoile montante à n'en pas douter (c'est aussi un elfe... no comment). Rayon magie de combat, c'est à une jeune et talentueuse Halfeline qu'il faut s'adresser : Frêle, mais dotée d'un énorme ciboulot (métaphoriquement parlant, bien entendu, sinon ses jambes ne supporteraient pas), la charmante Alania Gandja, bientôt sublimement interprétée par la somptueuse Valérie nous soutiendra de ses gros sorts bourrins. Pour le côté plus printanier, le nain Mestiful "le Divin" nous soutiendra de ses nombreuses facultés curatives, ainsi que du sourire inoubliable de son créateur, le sexy Jojo, jeune premier ayant déjà été remarqué pour sa prestation dans Les Feux de l'Amour (rappelez-vous, c'était lui, "Client du restaurant numéro 3" dans l'épisode 2056). Cette fière équipe ne saurait être complète sans un meneur, véritable sex-machine, et aventurier hors-pair, mais rassurez-vous, Edward "Jazzy F" Stahleene est là. Sous ses airs de Halfelin dévergondé se cache un grand professionnel, doublé d'un voleur confirmé, capable de délicieuses Sneak Attacks à +2d6, ainsi que d'une panoplie de skills très utiles dans cet environnement terrible. Joué par votre serviteur, "Jazzy F" Stahleene est prêt à mettre le feu quelles que soient les circonstances. (Si avec un pitch comme ça notre équipe n'est pas sponsorisée tout de suite ou presque...) Bref, de bonnes parties en perspective. Je me demande déjà à quelle sauce nous allons être mangés, quels adversaires nous attendent, et tout et tout. Je me réjouis d'avance d'engranger les XP et les PO sans lesquels il n'est pas de bonheur possible.

Le pire dans tout ça...

Je trébuche sur la fille à côté de moi. Elle se retourne, forcément en colère, et me grogne dessus. Sa peau est grise et pend par endroits, révélant des taches de chairs nécrosées. Absolument immonde, comme tous ceux qui m'entourent. Je tourne la tête. La masse de mes semblables avance, inexorablement. Ils sont grisâtres, parfois d'un brun rougeâtre pour les plus abîmés ou goinfres, certains sont recouverts de moisissures, de vert-de-gris, d'autres substances. Les plus vieux ne sont presque plus que des squelettes, dont les articulations craquent à chaque pas. Il leur reste bien un peu de peau, mais elle est parcheminée et pourrie. Ceux-ci ont au moins une chance : les asticots ont arrêté de les bouffer depuis un moment déjà... Un râle devant : Les barbelés du camp de réfugiés sont en vue, et déjà les premiers d'entre nous se font faucher par les balles. Mais ils se relèvent. Comme si de rien n'était (c'est un peu le cas, en vérité). Mouais. Ces irréductibles ont l'air d'être d'assez mauvais tireurs, en fait. Peut-être ne savent-ils pas : DANS LA TETE, bande d'abrutis ! Peine perdue. Les premiers ont atteint les barrières, poussent, griffent, arrachent ce qu'ils peuvent. Nous sommes silencieux, en fait. A part quelques grognements, pas un bruit ne nous accompagne. Nous ne parlons pas, nous sommes suffisamment légers et lents pour ne faire que peu de bruit lorsque nous marchons, et nos bruits sont de toute façon couverts par les leurs, leurs cris, leurs moteurs, leurs coups de feu. Nous sommes tout simplement inexorables : nous avons tout le temps du monde. Nous sommes là pour bouffer, ce que nous faisons, tous les jours, à outrance, et chaque fois que nous rencontrons un morceau de viande. Nous ne connaissons pas la maladie, le froid, la déshydratation. Mais ce n'est pas le pire.
Les barrières tombent dans un grand fracas, et c'est l'hystérie dans le camp. J'arrive près de l'entrée, et les autres ont grimpé sur les cadavres des premiers pour y pénétrer. Pour des mateurs, les survivants se sont pas mal défendus, un vrai carnage ! Tiens, d'ailleurs, je reconnais la fille sur qui j'avais trébuché. Un trou de 10 centimètres de diamètre dans le crâne, elle ne grognera plus sur personne. Dommage, elle avait l'air sympa. J'ai un peu de mal à poursuivre les plus pressés, ma jambe droite s'est brisée net lorsque je suis mort en montagne, et elle ne tient plus que par un lambeau de chair qui pourrit de plus en plus. J'hume l'air, ça sent le sang, sans aucun doute. Et la chair. J'ai appris à reconnaître tout ça, depuis l'accident. Nous sommes efficaces : nous sentons les vivants, de loin, nous devinons leur taille, leur état de santé, leur peur aussi. Nous ne connaissons même pas vraiment la faim, nous percevons et allons consommer, c'est un réflexe, même pas une envie. Encore moins un besoin : nous ne mourons pas de faim, nous ne pouvons pas mourir. Mais ce n'est pas le pire.
Une petite cabane de tôle, éloignée du gros de la horde, une petite silhouette dedans. Probablement un adolescent, peut-être un môme. Même les grands sont petits de nos jours. Ils n'ont pas assez à manger, leur croissance est erratique, ils sont voûtés, difformes. Ils nous ressemblent un peu. D'un geste, j'arrache la porte. Elle est là, acculée contre le mur, terrorisée. Une déflagration, je tombe. Elle m'a tiré dessus. Colt .45. La jambe gauche, forcément. Je me retourne, et je la vois derrière moi, dégoulinant un sang noir et poisseux. Je commence à ramper, mais elle me fauche encore une fois : c'est un bras, cette fois. Le droit. J'arrive quand même à m'approcher, m'approcher... mais elle me fauche l'autre bras... En poussant sur mon presque moignon, j'arrive à franchir les quelques mètres qui restent. Elle hurle, et finit de me démembrer. Je ne peux plus bouger. Elle finit par me mettre une balle dans le torse, qui ne me fait absolument rien, puis elle saute par-dessus ma carcasse et se dirige vers la porte. Je me retourne tant bien que mal vers la porte, la suit du regard. A peine a-t-elle franchi le seuil qu'elle est attrappée par un petit, qui lui mord immédiatement la hanche, en la faisant tomber au sol. Elle hurle quelques instants, son sang se répand sur le sol, et ensuite on ne l'entend plus. D'autres l'ont sentie, se sont approchés d'elle et commencent à la déchiqueter de leurs griffes, de leurs crocs. Il ne restera pas suffisamment d'elle pour se relever. Autour de nous les cris se font plus rares. Le calme revient progressivement. La horde se regroupe, et hume l'air : il y a peut-être des survivants vers l'est. Tout le monde va se remettre en route, mais moi je reste ici. Nous ne faisons pas de sentiments, nous avançons, de gauche, de droite, au gré du vent, du hasard. Nous ne montrons pas de compassion, de pitié, ni de colère ou de peur. Mais ce n'est pas le pire : le pire, c'est que nous sentons ces choses. Ou en tout cas je les sens encore, moins qu'avant, mais je me suis habitué. Je ressens toute l'horreur de ces corps mutilés, de ces êtres broyés, j'essaie de retenir mes coups, mais rien n'y fait. Le pire dans tout ça, c'est que je suis encore dans ma carapace de mort, enchaîné à cette coquille immonde. Je suis ici, dans cette cabane de tôle, bel et bien ici, à me demander si je deviendrai complètement fou d'ennui avant qu'on m'achève.