mercredi, octobre 18, 2006

Arkham(14)

Geoff sortit de la voiture et fit un signe de main à son équipière. La journée de demain allait être bien remplie elle aussi. C’était bien. Ils avaient quelques éléments à suivre, quelques contacts à creuser… Il habitait un immeuble en plein centre d’Arkham, dans un confortable appartement. Il en avait hérité de sa grand-mère, « la dernière de la famille à avoir réussi », comme lui disait sa propre mère. Elle avait toujours apprécié le luxe, les grosses berlines allemandes, les réceptions pleines de gens importants, « parce qu’il faut savoir se montrer ». Habitant New York, la famille Finn avait toujours gravité autour de l’élite, son arrière-grand-père ayant possédé une salle de spectacle sur Broadway, l’Ambassador Theater. Toute jeune, sa mère déjà avait été aveuglée par les spotlights. Elle était tombée enceinte de lui à dix-sept ans, d’un père qu’elle avait toujours refusé de lui nommer. Sans doute une vedette mineure, de toute façon pas prête à s’embarrasser d’une femme et d’un gosse. Elle était donc retournée vivre avec ses parents, qui avaient hérité de l’Ambassador. Mais le cinéma et la vague Off-Broadway avaient petit à petit vidé la salle, et lorsque ses grands-parents avaient pris leur retraite, sa mère n’avait plus pour vivre que l’aide de ces « amis » lointains et riches qui, ne voyant plus en elle une aide si précieuse, s’éloignèrent un à un d’elle. Pourtant elle les avait choyées, ses stars. Elle avait donné tout ce qu’elle avait dans l’espoir de « montrer au monde qu’elle était quelqu’un ». A force de vivre selon ces principes, elle avait fini par mourir dans la misère, endettée jusqu’au cou. Trop de locations de salles de réceptions, trop de champagne par cartons entiers. Lorsqu’il lui avait dit qu’il avait décidé d’être flic, elle l’avait traité de tous les noms, et lui avait clairement dit qu’elle ne souhaitait plus jamais le revoir. Il avait acquiescé, avait fait son sac, et s’était installé à Arkham, dans l’appartement que sa grand-mère, prudente, lui avait légué directement. Il y vivait depuis sa majorité, et l’aimait profondément. L’immeuble était ancien et vénérable, pas de toute première fraîcheur certes, mais ses parquets craquants et son odeur de vieux papiers étaient tout ce qu’il avait connu depuis son départ. En gravissant les marches, il entendit des sons venant de chez lui. Ce pressentiment étrange, qui l’avait envahi dans la forêt, lui revint soudainement. Il inspira une fois, pour se reprendre, puis gravit sans bruit les marches restantes, et plaqua son oreille à la porte. Il entendait de la musique, et un cliquètement bizarre, comme si quelqu’un ou quelque chose tapait délicatement des ongles sur le parquet ciré. Il dégaina son arme, s’accroupît contre la porte, et tenta de bouger la poignée. Le verrou n’était pas enclenché. La porte céda doucement devant lui, révélant le petit couloir menant au séjour. On avait allumé la télé, mais il ne pouvait pas voir ce qui passait à l’écran, caché par le dossier du canapé. Et toujours le cliquètement. Lentement, il se redressa, l’arme toujours au poing. Puis il se relaxa, rengaina son arme. Toujours sans bruit, il s’approcha du canapé puis, rapide comme l’éclair, il agrippa la première chose qu’il trouva, qui s’avéra être la manche d’un t-shirt un peu moite, en poussant un grand cri. « QU’EST-CE QUE J’AI DIT AU SUJET DES PARTIES DE CONSOLE CHEZ MOI ? ». Il sentit sa proie se cabrer puis tenter de fuir avant de tomber lourdement du canapé. Puis une main d’homme, tremblante, émergea, suivie d’un corps tout entier crispé par la panique, terminé par un visage penaud.
- « S-Salut… Euh… Eh bien… Tu n’étais pas là et… Enfin… Je me suis dit que l’un dans l’autre euh… Ben euh… Désolé. »
Geoff, l’air excessivement sérieux, foudroya l’intrus du regard pendant un long moment. Celui-ci était comme à son habitude vêtu d’une salopette tombante sur un t-shirt informe. L’homme était grand, maigre et mal rasé, la consternation et la honte se disputaient son visage. Geoff hésita un moment à le faire se tortiller encore un peu. Non. Son pressentiment n’avait été qu’une fausse alerte, et il n’avait pas le cœur à se montrer encore plus dur. Il se fendit d’un large sourire, s’approcha de lui et lui envoya une petite tape amicale. Il montra la pendule murale du doigt, il était sept heures passées. « Marco Kimble en personne, et debout à cette heure-ci ? Tu fais de l’insomnie ? Et où étais-tu passé depuis deux semaines ? ». Marco, plus ou moins remis de ses émotions, s’avachit dans le canapé. « C’est bien pour ça que je suis venu ici. » Il se leva, passa à la cuisine prendre un Mountain Dew, et ramena une bière à Geoff, qui le remercia avant de s’asseoir à côté de lui. Il aimait Marco comme un frère. Ils s’étaient croisés dans le bus pendant plusieurs mois, à l’époque où celui-ci travaillait encore dans une boîte de traitement de données, avant de s’adresser la parole. Et puis une fois Marco avait franchi le pas. Il s’était assis à côté de Geoff et avait commencé à lui parler, de tout et de rien. Geoff, qui n’avait guère d’autre ami à l’époque que de vagues connaissances du boulot, n’attendait que ça. Célibataires tous les deux, et habitant à deux pas l’un de l’autre, ils avaient pas mal de temps libre qu’ils occupaient la plupart du temps dans cet appartement à regarder des films ou à faire des parties de la dernière trouvaille ludique de Marco. Celui-ci avait une connaissance encyclopédique de tout ce qui avait trait à l’amusement sous toutes ses formes, et même si Geoff n’était pas aussi féru que lui, Marco lui trouvait toujours un passe-temps sympathique. Puis Marco avait fait fortune avec une petite application qu’il avait revendue à une grosse compagnie qui lui avait fait une offre qu’il n’aurait jamais osé imaginer. Geoff s’était attendu à ce que Marco déménage, qu’il refasse sa vie dans un coin plus ensoleillé, dans une ville plus gaie. Mais il n’en était rien. Marco était resté. Geoff soupçonnait que Marco, ayant été son confident le plus fidèle, craignait de tomber dans les mêmes travers que sa mère. Ou alors qu’il n’avait rien ni personne à part lui, et qu’il s’en satisfaisait pleinement. Il était donc resté à Arkham, dans le même appartement, avec le même style de vie. Il se couchait et se levait plus tard, mais sinon rien n’avait changé. Et tout au fond de lui Geoff lui en était reconnaissant : lui non plus n’avait pas grand’ monde à qui se confier. Néanmoins, ces temps-ci, il avait remarqué quelques changements d’habitude chez son ami. Il n’apercevait plus de sa fenêtre les clignotements incessants provenant des différents écrans toujours allumés chez lui. Il y avait quelque chose qui clochait, et Geoff avait bien une petite idée de ce que c’était… Effectivement, Marco avait rencontré une fille. Il était venu ce soir lui raconter tout ça.

1 commentaire:

Jojo a dit…

Là j'ai vraiment cru qu'il allait y avoir de l'action.