mercredi, juillet 25, 2007

La Peur

Spéciale dédicace à Bourgui qui m'a précédemment trouvé Lovecraftien, là je me lâche carrément :

La Grande Bête habite une caverne, au fond de la vallée.
Cette nuit, la lune lui chatouille les écailles de ses rayons et elle
S’ébroue. Elle se dresse sur ses pattes, elle hurle. Les villageois au loin
Se serrent, se répètent « C’est le vent, c’est le vent, ce n’est rien. »
Les épouses rappellent leurs maris, les parents visitent leurs enfants
Dans leurs lits. Ceux-ci se tiennent sans bouger, ne font pas de bruit,
Semblent morts. La peur engendre la peur, et cette nuit la Bête
Doit se repaitre. Les volets claquent, les portes...

La Grande Bête, réveillée, s’élance, du fond de la vallée.
Cette nuit, elle s’envole, au-dessus des nuages, des forêts
Elle obscurcit le ciel, rugissante, battant les arbres et les pâturages
De ses grandes ailes membraneuses. A l’air libre, son cri résonne
Sans entrave. Les villageois sentent les murs trembler, du plâtre tombe
Des toits, recouvrant tout d’un linceul blanc. Blancs sont
Les murs. Blancs sont les gens. Blanche est la peur, et cette nuit la Bête
Est en chasse. Les enfants pleurent, et crient.

La Grande Bête guette le village, ses serres plantées
Cette nuit, elle hume l’air, ses naseaux frétillent. Elle sent
L’odeur du sang, l’odeur de la peur, l’odeur des enfants.
Rien ne bouge plus. La scène est figée. On entend plus que
Ses feulements. Un, deux. Un, deux. La lune est claire. La Bête,
Presque déçue, s’élève de nouveau. Son envol effleure le clocher,
Les toits. Les villageois prient leur dieu. Ils se serrent les uns contre
Les autres. Mais la peur reste. Ils savent. Ils savent que leur cauchemar
Jamais ne finira. Un jour, bientôt, la Bête reviendra.

'No (je veux être un Lovecrate)

mercredi, juillet 11, 2007

Bonsaï

Et voilà une petite chose qui m'a beaucoup amusé. Je sais pas s'il y a une suite ou non, encore. Ca se tient déjà pas trop mal comme ça, peut-être ?

Flic-floc, la pluie tape sur les carreaux d’Emilie Senont, doucement tout d’abord, puis de plus en plus violemment. Emilie a vérifié déjà plusieurs fois que ses douze fenêtres étaient bien fermées. Rien ne doit briser la pureté de son logement. Elle a la phobie des taches, le dégoût de la saleté, et la haine des acariens. Elle est la seule personne, à sa connaissance, à utiliser exclusivement les patins et à forcer ses rares invités à en faire autant. Elle est la seule personne, à sa connaissance, à faire la poussière matin et soir. Elle est la seule personne, à sa connaissance, à laver et repasser ses rideaux une fois par mois. Son appartement semble inhabité, bien que constamment en ordre, comme si le temps n’y passait pas. Outre le réduit qui occupait ses pensées juste avant l’orage, elle a deux grandes chambres, bien qu’une seule lui serait nécessaire en toute circonstance. Un immense séjour occupe un coin de l’immeuble. Il est très lumineux. Le soleil, sur les bibliothèques d’acajou, donne à la pièce des tons chauds, très organiques. Elle n’en profite jamais, ou presque. Sa salle de bains, toujours éblouissante, est grande et fonctionnelle. Sa cuisine, de même. Elle est la seule personne, à sa connaissance, à utiliser le vinaigre d’alcool au premier millimètre carré de calcaire. Elle est la seule personne, à sa connaissance, à se coucher dans un lieu rigoureusement identique à celui dans lequel elle s’est levée. Elle en retire une certaine fierté, voire, lorsqu’elle est en présence de nuisibles voisins, ou autre racaille, la preuve de sa supériorité morale et de son inébranlable force de caractère. Emilie vit seule, la seule entité vivante (hormis cette chose, dans le réduit, mais est-elle vraiment vivante ?), en plus d’elle, est sa collection de bonsaïs. Une vieille connaissance lui a ramené le premier d’un voyage au Japon. Elle s’est tout de suite attachée à la petite plante torturée : la discipline de fer imposée à la matière organique brute à l’aide d’incisions millimétrées a tout de suite éveillé son intérêt. Elle s’est renseignée, à gauche, à droite, sur les diverses techniques et soins à apporter à ce genre d’expérience, puis elle a acheté d’autres boutures, d’autres pots, de nouveaux engrais, de nouveaux plants. Elle peut passer des heures à guetter sur ses petits amis les signes d’une excroissance nouvelle, d’une racine tordue, d’une tentative désespérée d’accéder à la lumière, au sol fertile. Rien ne lui fait plus plaisir que de passer du temps dans la petite pièce qui lui sert d’arboretum. La pièce ressemble à une jungle lilliputienne, une vieille ruine prise par les lianes, si ce n’est par sa propreté exemplaire. Emilie sort peu, reçoit rarement et seulement pour le thé. Elle n’a pas d’amis, seulement des connaissances. Les gens la trouvent étrange et guindée. Elle fait un peu peur, en vérité. Ses idées sont très arrêtées, sur tous les sujets. Elle s’est fâchée avec ses rares amies de jeunesse. Ses fréquentations sont donc limitées à des femmes de son âge facilement influençables, ou qui ne semblent capables de parler que du temps qu’il fait. Elles viennent chez elle, prennent le thé, et s’en vont rapidement. Néanmoins, Emilie n’en conçoit pas d’amertume. Elle a ainsi plus de temps pour s’occuper des trois domaines qu’elle apprécie le plus : son antre, son bonsaï, et la chose dans le réduit. Elle a lu des dizaines de livres à son sujet. Elle s’est replongée dans les lectures du catéchisme de ses jeunes années, ancien et nouveaux testaments, exégèses diverses. Rien ne l’a aidée. Elle s’est tournée vers des sources moins conventionnelles, le Petit et le Grand Albert. Elle a découvert certains détails, mais rien de plus que ce que la chose lui a déjà appris. Elle est donc en ce moment face à un problème : la chose habite son espace, pollue son chez-elle et ses pensées, s’insinue dans la perfection entropique de son existence. Elle a travaillé si dur, elle a tant donné pour son confort, pour sa sérénité, et ce parasite ruine tout. Elle en désespérerait si elle n’était pas toute autant emplie de rage. La chose (elle se refuse de l’appeler par son nom, ou par ce qu’elle prétend être) ne semble pas en mesure de partir, ou ne pas le souhaiter. Emilie a essayé, une fois, de raisonner avec elle, en vain. Alors, depuis, elle la torture du mieux qu’elle peut. Puisqu’elle se montre si peu coopérative, elle n’a qu’à souffrir. Elle emporte avec elle, chaque fois qu’elle se rend à l’église, une petite flasque qu’elle remplit au bénitier. Puis elle rentre chez elle, se saisit d’une pipette dont elle se servait à une époque pour préparer sa concoction de fleurs de sureau, ouvre la porte du réduit, fait lentement couler quelques gouttes sur la forme prostrée au sol, et attends les cris, les obscénités et les menaces. Elle brûlera dans les flammes. Elle sera lacérée par des fouets d’épines. Elle sera écartelée, violée, crucifiée, puis remise à neuf pour vivre à nouveau les mêmes tourments. Elle connaîtra mille souffrances pour l’éternité. Elle sera à sa merci un jour. Elle est, désormais, habituée. Elle connaît sa chanson. Elle a eu un peu peur, au début. Mais quand elle s’est rendu compte que la chose était impuissante, elle s’est apaisée. Et depuis, elle est devenue la tortionnaire de cette créature à la peau grise et informe, griffue et sale, échevelée et inhumaine. Et, si le sujet est pour elle un pensum, elle en retire quand même une satisfaction qu’elle ne saurait expliquer, peut-être plus encore qu’avec ses petits arbres. Elle ne sort presque plus jamais de chez elle, tellement cette présence lui est indispensable, tellement elle se languit, lorsqu’elle en est loin, de sa victime, de son trésor. Au commencement, elle se sentait justifiée dans sa sainte colère, comme investie d’une mission divine. Peut-être Dieu la testait-elle de cette manière ? Peut-être voulait-Il, dans Son infinie sagesse, faire d’elle l’une de Ses Elues, une guerrière sainte de la lutte ultime entre le Bien et le Mal ? Mais un jour, alors qu’elle contemplait une fois encore les chairs boursoufflées de la chose, celles sur lesquelles elle avait travaillé à l’instant, elle se rendit compte que ce n’était que le hasard, et lui seul, qui les avait ainsi réunis. Sa fierté diminuée, elle n’a pas changé d’attitude envers elle. Au contraire, si le hasard a fait d’elle la gardienne de ce secret, elle n’en sera que plus enthousiaste, elle n’en mettra que plus de cœur à l’ouvrage. Elle s’applique, donc. Elle a un carnet dans lequel elle note les effets de ses différents traitements sur la chose. Elle ne les montrera jamais à quiconque, mais elle agit sur son petit protégé avec la méticulosité qu’elle réserve à ces tâches qu’elle juge importantes et révélatrices de son caractère. Et le soir, dans son grand lit, elle tend l’oreille, cherchant les soupirs, les grognements, les gémissements. La plupart du temps, elle s’endort sur un sourire.