vendredi, mars 09, 2007

Lyrana(2)

A l’époque, un grand nombre de caravanes circulaient dans les Terres de Feu. Al-Keerna servait de plaque tournante, étant reliée par bon nombre de routes commerciales à la plupart des Empires et Royaumes du continent. Ceci s’avérait pratique, non seulement pour ses habitants vivant du commerce, mais aussi pour ceux et celles qui, comme moi, choisissaient une vie moins réglementée par les édits des magistrats du Calife (loué soit le commandeur des croyants !). Il n’était d’ailleurs pas rare que, lors du départ d’une caravane, l’on croise plus de personne à l’air résolument douteux que de marchands patentés avec qui l’on aurait fait des affaires quelques jours plus tôt. La situation n’étonnait plus grand’ monde, d’ailleurs, et rendait même service aux marchands : les malandrins les moins discrets payaient cher leur droit de passage, quant aux autres (dont vous aurez compris que je faisais partie), ils se faisaient discrets, tout en étant capables, pour la plupart, de défendre un convoi en cas d’attaque de pillards. Les caravaniers, donc, bénéficiaient d’un solide contingent de personnes dotées de talents peu communs dans leur milieu, et qui de plus ne demandaient que rarement paiement. Rarement, voire jamais, car s’ils avaient montré trop d’exigences envers leurs associés de fortune, ils auraient pu se retrouver, par un malheureux hasard, dénoncés aux autorités de leur lieu de destination, voire « égarés » dans le désert, destin des moins enviables s’il en est. Une sorte de consensus avait donc émergé de cet arrangement, et la philosophie des uns comme des autres était la cohabitation polie.
Après avoir semé les gardes, je décidai donc de rejoindre l’une de ces caravanes. Je me préparai tout d’abord pour mon départ : empruntant une ruelle, je saisis au hasard une djellaba de teinte rouge clair semblant correspondre à ma stature, un keffieh blanc et bleu très digne, ainsi qu’un foulard rouge que je nouai à ma taille. Prenant une profonde inspiration, je modifiai la forme de mon visage, me donnant un air patibulaire de vieux renard des sables. Ma magie est grossière, certes, mais particulièrement efficace, et elle m’a sauvé la vie bon nombre de fois. Ensuite, je m’approchai de la sortie de la ville. Avisant un marchand seul, traînant derrière lui un seul dromadaire, je l’attirai dans une ruelle contre la promesse d’une affaire, l’assommai, et saisit la bride de l’animal. Je jetai un œil sur mon butin : rien de répréhensible, seulement de belles étoffes teintes. Satisfait, je me rendis aux portes de la ville. Le chef caravanier était le légendaire Shah-Zaman, dont on racontait qu’il était né dans une caravane, à même le dos d’un dromadaire, et qu’il n’avait jamais passé plus d’une nuit en-dehors du désert. C’était un petit homme trapu, vêtu de bleu poussiéreux, de teint presque noir tellement il passait de temps au soleil. Sa peau était sèche comme le désert et prenait la texture du parchemin. Il était glabre, et l’on racontait que tous les matins il se rasait sans jamais descendre de sa monture. Il était réputé dur en affaires, intraitable au sujet de la sécurité des membres de sa caravane, immodérément loyal, et impitoyable avec les rares bandits qui osaient encore, par ignorance ou surabondance de témérité, s’attaquer à ses convois. Je m’approchai de lui pour lui demander humblement la permission de me joindre à son cortège. Il me dévisagea des pieds à la tête, sembla satisfait de ce qu’il avait sous les yeux, et m’assigna une place dans la caravane. Il me fit mille recommandations, avisées et sages, ainsi que mille menaces pour le cas où je refuserais de m’y plier. Le désert, ces temps-ci, était encore moins sûr. Des rumeurs persistantes lui avaient été colportées du nord au sud. On parlait de convois entiers avalés par le désert. De cris horribles résonnant la nuit dans les oasis. De bandits étranges capables de mener une embuscade en un éclair avant de disparaître instantanément, avalés par les ombres. De bêtes féroces, excitées par d’incompréhensibles forces et bien plus rusées qu’à leur habitude. On murmurait que les Efrit avaient décidé de mener la guerre aux peuples du désert, qu’un puissant dragon avait formé un pacte avec eux. Et ainsi de suite. Je ne puis juger si les dires de Shah-Zaman étaient exagérés ou non. Malgré tout, celui-ci était un voyageur chevronné, et bien que le connaissant mal je n’avais aucune peine à ajouter un crédit certain à ses paroles. La suite du voyage, d’ailleurs, lui donna en partie raison, et ce n’est que grâce à ses conseils, ainsi qu’à l’aide de ma maîtresse, que je pus revenir du désert sain et sauf. Mais la chance, peut-être, ou l’Eternel, m’avaient réservé un rôle plus important que de périr parmi les sables.