lundi, mars 27, 2006

Arkham (4)

Steve Adler profitait du beau temps. Il avait pas mal bossé ces derniers jours, et il était content d’avoir pris son mercredi. Il avait passé quelques heures sur la plage ce matin-là, à lire ou rêver, bercé par la lente respiration de l’Atlantique. Puis il était allé manger des fruits de mer au marché, appuyé contre l’un des étals alors qu’Amos, son marchand de poisson favori lui racontait des histoires de monstres marins, de sirènes et de pirates fantômes. Il aimait beaucoup Amos. Issu d’une famille de cordonniers arméniens arrivés un demi-siècle plus tôt sur le continent, celui-ci avait « tellement aimé la traversée qu’il avait repris immédiatement la mer », encourant les foudres de son père qui souhaitait qu’il reprenne le métier. Qu’importe ? Il s’était engagé comme mousse sur un chalutier, et avait petit à petit appris le métier de marin, et acquis un sens des affaires suffisant pour survivre malgré la pêche industrielle. Et puis surtout, il y avait ses histoires. Il s’était constitué, grâce à la bibliothèque d’Arkham, une fabuleuse collection d’histoires de marins, qu’il racontait toujours en se faisant héros ou témoin. Pince-sans-rire, il s’attribuait des hauts faits d’armes, des conquêtes féminines par centaine, et des rencontres avec toutes sortes de créatures. Bien que son accent se fusse peu à peu estompé depuis le temps, il s’en servait pour raconter ses histoires, variant la prononciation selon les personnages et les situations, ce qui faisait de chacune des visites de Steve un enchantement toujours renouvelé. Repu de moules, de coques et de palourdes, celui-ci finit par partir, serrant la main du vieil homme qui l’avait diverti. Amos lui sourit et lui dit, comme à son habitude : « Adieu, mon ami, et méfie-toi du Kraken ! ». Steve lui fit un petit signe de la main, prit sa voiture, et se dirigea vers le centre ville. Il posa sa voiture près de chez lui, et partit à pied vers un petit square, pour lire, et peut-être, se dit-il, prendre quelques clichés. Il s’assit, et laissa s’échapper un soupir d’aise. La journée avait bien commencé, et elle semblait continuer sur sa lancée. Il prit son bouquin, cala sa cheville sur sa jambe, et se mit à lire. La température était exquise, le banc, confortable. Le bouquin, un thriller à quatre sous exposant une ridicule théorie sur le Vatican (une de plus !), était toutefois agréable à lire, mais pas suffisamment bon pour le tenir éveillé. Il commença à dodeliner de la tête, résista une première fois, une seconde, puis, haussant les épaules, se laissa doucement glisser dans le sommeil.
Un bruit derrière lui le réveilla en sursaut, un craquement de branche. Un chien, sans doute. Steve s’étira, et se redressa un peu sur le banc. Regardant sa montre, il s’aperçut qu’il avait dormi une bonne heure. Il regarda autour de lui : le square était désert, les enfants n’étaient pas encore sortis de l’école. Il se retourna, pensant flatter le chien qui l’avait réveillé. Ce qu’il vit en se retournant vers le buisson le terrorisa, mais le chiffon chloroformé qui lui bloqua la bouche coupa son cri avant qu’il ne puisse franchir ses lèvres.

Cindy Ratchett, contrairement à ce que pouvait laisser penser son prénom, n’était ni une ingénue, ni un top model. C’était une jeune femme grande et athlétique, affublé d’un nom caricatural (qu’elle avait, par ailleurs toujours détesté). Elle travaillait comme informaticienne dans une grande boîte chargée de faire de la publicité pour plusieurs grandes marques, et elle était, comme en tout ce qu’elle entreprenait, l’une des meilleures. Elle avait la rage, elle avait la classe, elle allait vite, et elle filait droit. Et elle se rendait en ce moment à sa voiture après une journée de totale efficacité professionnelle. Elle était même partie un peu plus tôt que ses collègues et, seule dans le sombre parking souterrain, elle marchait vite, très vite. Non pas qu’elle eût peur (elle était ceinture noire de Krav-Maga), mais elle avait toutes les raisons de se presser : Son mari, Pete, instituteur, était sans doute aux fourneaux depuis le milieu de l’après-midi. Il lui avait promis des tournedos Rossini et un de ses génialissimes gratins dauphinois, et elle marchait vite pour pouvoir profiter des délicieuses odeurs de sa cuisine. Il fallait qu’elle aille chercher du vin, un Bordeaux probablement. Elle atteint sa voiture en un rien de temps, et se glissa derrière le volant. Elle n’eut pas le temps d’enfoncer la clé dans la serrure, ni même de se retourner, avant qu’un chiffon tenu par une main gantée ne se referme sur sa bouche. L’odeur de chloroforme l’assaillit immédiatement, mais elle parvient à s’arracher à l’emprise sans trop de peine. Sa tête commençait à lui faire mal, mais elle usa de toute sa volonté pour sortir de la voiture, et à courir en direction de l’ascenseur. Un coup fulgurant la jeta au sol. Sa respiration fut coupée, tous ses membres endoloris. Un Taser ! L’enfoiré l’avait électrocutée. Elle se concentra un maximum, banda tous ses muscles, et parvint à se remettre debout, mais tomba nez à nez avec son assaillant, qui plaqua à nouveau son chiffon sur son visage. À travers ses larmes de rage, Cindy aperçut enfin le visage de son agresseur. Elle accueillit le trou noir de l'inconscience comme une bénédiction.

3 commentaires:

Reb a dit…

Bien bien. Personnages bien cools. Vraiment chouette à lire, et on se représente les scènes parfaitement. C'est vrai que ça ferait aussi très bien un film, ou une bd.

Et comme tu as déjà fini ton travail de la semaine, on en aura peut-être un bout en plus d'ici vendredi... Allez ! S'te plaît !

Bouddha a dit…

allez m'sieur, la suite la suite!
c'est cool comme histoire!

Jojo a dit…

Aaaaaaaargh. ça sent le tentacule à plein nez (et le chloroforme, aussi, accessoirement...).