lundi, mars 13, 2006

Arkham (1)

La commissaire Rebecca Mantoni fulminait seule dans son bureau, fumant clope sur clope et avalant l'immonde café du 1st precinct d'Arkham par grandes gorgées rageuses. Ça commençait à bien faire, les affaires merdiques que son vieil ami Loew lui faisait toujours passer. Elle inspira profondément, tentant de reprendre le contrôle d'elle-même, elle se pencha sur son bureau et s'empara du dossier. Une putain d'affaire... Cinq cadavres, tous plus massacrés les uns que les autres, retrouvés dans un des vieux entrepôts jouxtant l'université, parmi les seringues usagées et les vieilles capotes. Un lieu de passage quasi obligé pour les clochards, les drogués, et même les étudiants de première année en manque de sensation, rendant la collecte d'indices d'entrée absolument impossible - comment savoir si telle ou telle empreinte de pas provenait effectivement du ou des meurtriers, si telle ou telle fibre venait de ses fringues ? Elle se leva, tourna en rond dans son bureau pendant un moment. Ecrivit sur le tableau blanc les rares infos qu'elle avait pu vérifier avec un minimum de certitude : quintuple meurtre, victimes pas encore identifiées (merde !), arme du crime probable : machette ou hache quelconque (re-merde !), probable meurtre rituel (re-re-merde !), possibilité de récidive forte selon le profiler (de mieux en mieux !). Elle soupira. Loew avait tenu à ce qu'elle s'en occupe personnellement, et comme d'habitude elle avait accepté, dans la mesure où, même s'il lui arrivait de détester l'attorney general pour ses coups foireux, il avait en général du flair pour renifler les affaires pour lesquelles elle pouvait donner tout ce qu'elle avait. N'empêche, pour ce putain de puzzle, même la légendaire enquêtrice avait bien du mal à commencer. Un espoir, quand même : son partenaire, Geoff, était en ce moment même à Miskatonic pour parler avec une éminente sommité de l'occultisme pour tenter d'identifier tous les jolis petits gribouillis que les meurtriers (autant s'attendre à ce qu'ils soient plusieurs) avaient peinturlurés un peu partout autour et sur les cadavres. Elle se dirigea vers la salle de repos, où deux-trois flics de la ronde de jour discutaient football (l'équipe d'Arkham, les Squids, avait, pour la première fois depuis des années, une petite chance d'arriver au SuperBowl). Bien entendu, quand elle entra dans la pièce, les conversations se firent plus forcées. Elle salua ses troupes rapidement, demanda des nouvelles de la famille des uns et des autres, se resservit une gigantesque mug de l'immonde breuvage brun-beige, et retourna dans son bureau. Les photos de la scène de crime étaient étalées sur sa table de travail. Matthew Hong, le chef de l'équipe S.O.C., photographe de son état, avait une fois encore fait du super boulot. Le cadrage d'une photo de scène est toujours délicat, il est absolument nécessaire de ne pas atténuer ni renforcer la perspective, et Hong, comme dans tout ce qu'il faisait, était d'une minutie qu'elle avait toujours regrettée lors des affaires pendant lesquelles il n'était pas disponible. Sur le papier mat s'étendait dans toute sa macabre gloire le désastre qu'avait découvert un pauvre type qui cherchait juste un abri pour la nuit : cinq cadavres, tous masculins, éviscérés avec soin, leurs entrailles disposées en cercle autour de leur corps. Les mollets et les avant-bras avaient eux aussi été "travaillés" : ils avaient été raclés, et aucune chair ou presque ne restait, les os parfaitement visibles par endroits. Mais tout ceci n'était rien comparé à la sauvagerie, toutefois très précise, appliquée sur les têtes : Chaque crâne avait été fendu, et le cerveau extrait, presque intact. Mantoni connaissait l'état des cerveaux des victimes, parce qu'ils les avaient retrouvés. Les corps étaient disposés en cercle, dans la position foetale, la tête tournée vers le dos du suivant, et, au centre, quelqu'un avait disposé chacun de leurs cerveaux en étoile. Le pauvre clochard avait traversé la moitié de la ville en hurlant avant de se faire arrêter par une patrouille, qui lui avait filé une rouste, juste pour le plaisir (des "grands flics" du 2e precinct, le fief de Ferguson, une vraie pourriture), avant de se poser la question de ce qui le traumatisait comme ça. Le pauvre type était encore en état de choc à l'hôpital, ce qui ne pouvait lui faire que le plus grand bien. Elle allait peut-être même lui conseiller d'attaquer les flics en justice, histoire de faire en sorte que les boeufs-carottes aillent mettre un peu d'ordre chez Fergus' (Loew, qui détestait encore plus qu'elle le boss du 2ème, en serait ravi). Plus tard, peut-être. En attendant, elle se retrouvait avec une affaire merdique sur les bras, qu'il fallait résoudre, de préférence avant une récidive. Elle se replongea dans le dossier, et s'alluma une autre cigarette, en espérant que Geoff allait lui ramener des nouvelles...

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Moi, j'aime bien ce qu'il fait mon petit mimi. Je me réjouis déjà de la suite.

...T'aimes vraiment beaucoup les cerveaux, quand même. Ah! Je te comprends. Moi j'ai aussi des envies de cerveaux de temps en temps. C'est terrible !

Sinon, j'aime bien le personnage et c'est cool que ce soit une nana. Et pis j'ai presque senti l'odeur de la clope pendant que je lisais. Eh non ! Ce n'est pas votre propre cigarette que vous sentez en lisant le texte, c'est celles de Rebecca... Enfin...pas les miennes... Bref, j'arrête.

Et bravo !

Anonyme a dit…

Effectivement, histoire très sympa, qui pourrait faire un bon épisode des Experts (sauf que dans la série, les flics ne tabassent jamais personne).
J'attends aussi la suite avec impatience...

Wotan a dit…

oh oui c'est tres bien fait.

cheztao a dit…

un peu ghore pour ma petite personne mais sinon plutôt sympa.

alors la suite c'est pour quand?

Jojo a dit…

Ouais, c'est pas mal, ça serait bien sympa si tu prolongeais un peu, histoire qu'on découvre peu à peu les faits et les gens...

Si ça part sur les Experts, c'est décidé, j'me barre.

Et sinon pourquoi ça se passe pas à Lausanne ?

'No a dit…

Suffisamment gore pour que W en oublie comment ça s'écrit.
Pour les experts... Y a vraiment peu de chances...
Pour la longueur, d'un côté je suis d'accord, mais d'un autre côté j'aime bien aussi l'idée de ce perso qui passe d'un truc à l'autre dans sa tête non-stop. Dans la mesure où dans la suite on va changer un peu le point de vue, ça devrait calmer un peu le jeu.
Quant à la ville d'Arkham... Elle a des tas d'avantages par rapport à Lausanne. Déjà, j'avais envie de faire une aventure américaine, pour voir. Pour ça, quoi de mieux qu'une petite ville côtière du Massachusetts, pour donner à tous l'illusion que je sais des tas de trucs sur le fonctionnement de la police de là-bas ?
Ceci mis à part, l'avantage le plus flagrant d'Arkham sur Lausanne, c'est que cette ville n'existe pas du tout (à l'instar de la cuillère) ! J'aurais du mal à mettre un entrepôt à côté du campus de Dorigny (sérieux, je suis psychorigide à ce point-là), par contre Arkham, je m'en fous complètement.
Et puis situer une histoire là-bas, c'est aussi faire une déclaration de genre littéraire (très mal voilée pour les connaisseurs, d'ailleurs) et un hommage à une certaine littérature que j'affectionne.

Bouddha a dit…

c'est trop cool comme histoire!
et puis c'est vrai que je vois mal le héro découvrir tout le fond de l'histoire en trouvant un bris de glace collé sous un vieux chewing-gum, qui aurait été analysé dans un labo par un jeune stagiaire surdoué...
moi j'attend impatiemment la suite de l'histoire, vive les cerveaux!

Unknown a dit…

RAAAH! MUST... HAVE... MOREEE!!!

Joli mon Nono. Tu pourrais tres facilement tourner ca en scenar', J'aimerais beaucoup y jouer...