mercredi, juin 07, 2006

Arkham(10)

Harry Stone était une vraie montagne. Mesurant près de deux mètres, large d’épaules, légèrement bedonnant, il n’aurait pas dépareillé dans un rassemblement de Hell’s Angels. Cette impressionnante carrure lui avait toujours évité les confrontations en tout genre, ce qui l’avait rendu particulièrement calme et posé en toute situation. Alors qu’il sortait doucement de l’évanouissement, il ressentait une confusion qui ne lui était pas coutumière. Non seulement on l’avait agressé physiquement, mais on l’avait maîtrisé en un clin d’œil. Habituellement, on faisait appel à lui pour calmer une situation, pour exercer une influence impressionnante certes, mais bienveillante. Pour éviter, justement, d’en venir aux mains. Et, ici et maintenant, il n’avait pas suffi. Il ouvrit les yeux, lentement, un mal de tête diffus commençant à lui broyer le crâne. Geoff et Mantoni étaient penchés sur lui, l’air inquiet.

-« Me regardez pas comme ça. Je suis pas encore bon pour le cimetière… »

-« Non, mais pour un scanner, sûrement, répondit Geoff, l’air malgré tout soulagé. Essaie de ne pas trop bouger, non seulement tu as peut-être des trucs cassés, mais en plus tu as affaibli le plancher et j’ai peur que tu passes à travers… »

-« Petit malin. »

Mantoni s’assit contre le mur, à quelques centimètres du cadavre de l’animal, auquel elle jeta un regard méprisant, puis demanda :

-« Tu te sens capable de discuter un peu de ce qui s’est passé ? »

-« Au niveau du crâne, ça va… Mais étant donné que je me suis fait assommer dans le même temps que j’ai entendu le bruit, je vais encore être inutile aujourd’hui… »

-« Ouais, ouais, inutile, crétin, bouh, bouh, bouh, que je suis malheureux et inutile et nul… Bon, quand t’auras fini de te lamenter tu pourras essayer de stimuler ton énorme boîte crânienne, s’il te plaît ? »

-« Ouais bon ça va. Il n’empêche que c’est vrai que j’ai rien vu ou presque. »

-« Alors commence par le presque. »

-« C’était un bossu… En tout cas, son manteau remontait bizarrement dans le dos. Et il portait un masque. Avec des mandibules. »

-« Bon, dit Geoff, on est au moins sûrs qu’il y a un lien avec nos mabouls. Reste à savoir pourquoi ils prendraient le risque de nous suivre jusqu’ici et de tuer Stan dans notre dos. »

-« C’était courageux. »

-« Et efficace, remarqua Harry, toujours un peu penaud. »

D’un commun accord, Geoff et Rebecca lui retournèrent un retentissant « Ta gueule ! ». Puis Geoff se leva : l’ambulance et l’équipe de Hong arrivaient.

Matthew Hong était un petit homme d’une quarantaine d’années. Toujours vêtu d’un blazer brun, les coudes recouverts de pièces de cuir (de dinosaure, sans doute, avait toujours supposé Geoff), et ne se déparant jamais d’une de ses nombreuses mallettes à photo, il donnait l’impression de perpétuellement fulminer. Il marchait excessivement vite pour un homme de sa taille mais, devant son air décidé, la plupart des obstacles vivants ou non semblait s’écarter de sa route. « Étrange, pensa Geoff en le regardant arriver, comme on peut se tromper sur les gens… » Lorsqu’il avait rencontré le technicien, il avait tout d’abord été frappé par son ton sec et ses déclarations sans équivoque. Il avait au départ eu beaucoup de mal à l’apprécier mais, à la « demande » de Mantoni (« Tu vas voir Hong et tu te tais. »), il avait été obligé de plusieurs fois travailler avec lui. Lors d’une enquête particulièrement sanglante sur laquelle ils avaient bossé tous les deux, ils avaient fini assez tard et s’étaient permis une bière fraîche sur l’une des quelconques terrasses de la faculté de médecine. C’était là, en devisant de tout et de rien avec Hong, que Geoff s’était aperçu qu’il s’était complètement trompé sur son compte : Il n’était pas, comme il l’avait d’abord pensé, une bête de travail insensible et imbue d’elle-même, mais un professionnel acharné croyant dur comme fer que son métier pouvait aider à rendre le monde un petit peu moins glauque. En se plongeant dans la misère, le sang et les larmes, Hong permettait au reste de la population de vivre sans avoir à y plonger elle aussi. Et ses manières peu orthodoxes étaient une manière de se protéger de la misère dans laquelle il baignait continuellement. Depuis ce jour, Geoff respectait énormément le photographe et, si leurs rapports ne pourraient jamais être qualifiés de cordiaux (le mot cordial même semblait saugrenu quand Hong était concerné), ils s’appréciaient mutuellement et travaillaient de manière extrêmement efficace. Il s’approcha pour lui serrer la main.

1 commentaire:

Reb a dit…

Chut. Tu vas l'énerver et après il mettra encore plus lontemps pour nous préparer la suite.
Bien bien. J'aime toujours beaucoup, surtout les tacons en cuir!