lundi, mai 01, 2006

Arkham(7)

Mantoni conduisait. Geoff était assis à côté du clochard. C’était leur procédure standard. Rebecca était par trop impressionnante pour mettre les suspects en confiance, et perdait trop facilement patience. Geoff se tourna vers leur « suspect ». Suspect, il l’était par son comportement, mais il ne correspondait absolument pas au profil du ou des tueurs qu’ils recherchaient. Manifestement terrorisé, hirsute et sale, maigre comme un clou, il aurait été incapable de commettre un meurtre, et c’était un miracle qu’il ait réussi à garder sa partenaire à distance pendant aussi longtemps (bien qu’il la soupçonnât de s’être laissée distancer par jeu). Il ne pipait mot, se contentant de regarder par la vitre, les yeux vitreux. Geoff n’avait encore pu observer son visage, que l’homme avait tourné immédiatement aussi loin de lui que son cou le lui permettait. Il se pencha entre les sièges pour discrètement demander à Mantoni si elle l’emmenait au poste. Celle-ci, haussant la voix, répondit « Non, on l’emmène pas au poste. On va trouver un coin tranquille pour s’occuper de lui». L’homme sembla s’agiter un peu. Geoff sourit. Il avait bien une petite idée sur le lieu où ils finiraient leur course et, s’il avait raison, il n’y avait pas de quoi avoir peur.
-« Tu sais ce que les huiles ont dit la dernière fois, reprit-il, d’un ton un peu anxieux. »
-« Que veux-tu, reprit-elle, j’aime bien que mes clients répondent quand je leur pose des questions… »
-« Si tu penses que c’est nécessaire… »
-« Appelle Hong et dis-lui qu’on ne sera pas chez lui avant un bon moment, dit-elle en se retournant pour lancer à l’homme un sourire carnassier. »
Tandis que Geoff s’exécutait, promettant à Hong de venir au moment exact où ils auraient terminé, et s'empressant de couper la communication avant d’entendre les récriminations sans fin du scientifique, Mantoni éloigna la voiture du centre ville, et partit vers la banlieue. La tension à l’intérieur du véhicule était palpable, leur prisonnier se montrant toujours aussi peu loquace mais de plus en plus agité. Il s’était même retourné un instant vers Geoff, les yeux implorants. Geoff lui rendit un regard neutre, presque contrit : « Mon vieux, j’aimerais bien, mais comprenez-moi, c’est elle qui commande». Il en profita pour étudier d’un peu plus près les traits de l’homme : il lui semblait assez jeune, guère plus de 30 ans, ce qui excluait l’hypothèse du drogué ou de l’alcoolique de longue date, ces deux types de personnes paraissant cinquantenaires quels que soient leurs âges, surtout dans la communauté sans domicile. Ses yeux étaient d’un noir très profond, se confondant presque avec la pupille. Ses traits étaient tirés ; ses dents, pas encore ravagées. Mais ce qui se lisait le plus sur son visage, c’était la peur. Une peur panique, une peur réalisée, une peur quasiment inhumaine, tellement elle le faisait ressembler à un animal blessé. Geoff se demanda ce qui avait pu lui arriver, ce qu’il avait pu voir dans sa vie pour craindre quelque chose à ce point.
Ils étaient finalement arrivés. Hors de la ville s’étendaient des bois de conifères sur plusieurs kilomètres carré, et Mantoni avait trouvé une petite aire de parking proche d’une cabane de bûcheron. L’homme quitta Geoff des yeux pour voir ce qui se passait, et essayer de découvrir où ils étaient. Mantoni coupa le contact, descendit, et ouvrit à Geoff. « Prends le groupe électrogène dans le coffre… La pelle aussi...» Geoff sortit et se dirigea vers l’arrière de la voiture. Reb était une grande cinglée par fois, mais elle obtenait presque toujours des résultats. Il prit la pelle dans le coffre, guettant les réactions de l’homme qui les observait tous deux, incrédule. Mantoni ouvrit la porte et détacha les menottes. « Bien, mon brave monsieur, je pense que vous savez pourquoi nous sommes ici, dit-elle, toujours avec ce même sourire de loup. Vous m’avez beaucoup donné de peine, et je me dois de donner un exemple ». Sous sa poigne de fer, l’homme commençait à se tortiller, mais rien ni personne ne pouvait échapper à Mantoni lorsqu’elle l’avait décidé. Elle ficha ses yeux dans ceux de son prisonnier et lui demanda d’une voix dure : « Pourquoi vous êtes-vous enfui ? ». Silence. Mantoni réitéra. L’homme semblait déchiré par un conflit intérieur d’une force inouïe. Il semblait à la fois vouloir tout raconter, en finir avec cette improbable situation, ces flics cinglés, ce coin de forêt perdu, l’homme à la pelle, mais aussi échapper à un destin que Geoff et Mantoni devinaient funeste, cauchemardesque, intolérable. Elle fit un signe à son équipier, et tirant l’homme derrière elle, l’entraîna en direction de la cabane. Geoff frappa. Des pas lourds se firent entendre. La porte s’ouvrit, et un homme gigantesque sortit :
-« Eh ben les jeunes, qu’est-ce que vous m’amenez là ? »
Mantoni confia le sans domicile à Geoff, et prit le géant à part :
-« Un type qui a besoin d’un bain chaud et de fringues. Dans un coin sans trop d’issues. Disons que j’aimerais beaucoup discuter avec ce brave homme, et que j’espère le mettre suffisamment en confiance pour qu’il me renseigne sur des trucs louches. Je te passe les détails ».
-« T’as bien fait de me l’amener. Tu penses qu’on le recherche ? Faut que je passe en état d’alerte ? »
-« Non, je ne pense pas. »
Elle fit signe à Geoff d’approcher, et lança « Je t’ai rapporté ta pelle et ton groupe électrogène. » Ils entrèrent dans la cabane. « Je vous présente Harry Stone, dit-elle au sans-abri, complètement éberlué, mais qui semblait s’être détendu un peu. Il va vous indiquer où vous pourrez vous débarbouiller un peu et vous filer des frusques un peu moins décaties. Ensuite, on parlera un moment, on vous ramènera, et vous serez libre de faire ce que vous voulez. Vous avez un nom ?» Le petit homme lâcha, d’une voix qui était presque un murmure : « Stan. »
-« Je peux vous faire confiance, Stan ? »
-« Je partirai pas. »
Harry le prit par le bras, et l’entraîna à l’étage. Mantoni et Hart se dirigèrent vers le salon et s’assirent.
-« Alors, qu’est-ce que tu as appris auprès de notre éminente scientifique ? demanda-t-elle. »

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Alors ça m'arrangerait si l'auteur appelait toujours les personnages soit par leur prénom, soit par leur nom soit par un diminutif (toujours le même si possible) parce qu'entre l'angoisse de l'aventure et l'identification des personnages, j'ai un peu de mal (l'âge sans doute). Que va t'il arriver à ce pauvra bougre ?

Bouddha a dit…

j'ai hâte de lire la suite sacrebleu!

Jojo a dit…

Mmmmm... La Gégène...

Il me semble que tu te fais plus à l'aise dans ton récit : au début, on sentait plus une certaine urgence d'avancer dans l'histoire, là tu prends ton temps. Vous en pensez quoi les gens ?

Reb a dit…

Ouais, moi il me semble qu'on fait vraiment une jolie ballade. Mais j'ai pas trop senti l'urgence dont tu parles. Pour moi, c'était juste le truc accrocheur pour partir dans une histoire. Mais c'est vrai que si je relis, je vais peut-être y faire attention. Bref, j'aime toujours beaucoup et je me réjouis de lire la suite(ouais c'est bien, ça fait lire les gens qui lisent pas ! Vive l'artiste !)

Wotan a dit…

well I'm finally caught up with it all. I like it so far. I am wondering if it's a book or a shirt story. reminds me I have a short story in the works. I should be able to post it by next week. Koodos for writting man!

Reb a dit…

Ben à moi, en premier, vu que j'ai tendance à mettre la lecture pour le plaisir de côté (au profit du dessin, de films, de déblogage, du boulot bien sûr, etc.). Je sais que je ne suis pas la seule à lire peu, mais ça n'était en aucun cas une attaque personnelle.

cheztao a dit…

moi je suis toujours accroc même si ca veut pas dire grand chose puisque je suis plutôt un public facile!!!

en tout cas c'est assez bien pour que tout le monde s'y retrouve ! C'EST UN BEST SELLER!!!!!!!!!!!!