lundi, mai 08, 2006

Arkham(8)

-« Bon, je commence par le début : Notre Professeure Heather Finn est une vieille dame absolument charmante. Elle a environ soixante-cinq ans, elle a été mariée en tout cas cinq fois, elle a baroudé à travers le monde pendant toute sa vie et elle possède une culture pas croyable, ainsi qu’un sens aigu des réalités de la vie, ce qui est assez paradoxal, et particulièrement étonnant pour un métier de rat de bibliothèque. D'un autre côté, elle a un certain mépris pour le reste de ses collègues. »
-« Tu es sous le charme… »
-« Plutôt, oui. Elle écluse du Pur Malt comme tu bois du café, elle a une santé d’acier, et elle est capable de soulever une pile d’ouvrages reliés cuir de deux mètres de haut sans même sourciller. »
-« Bon, je vois le personnage. »
Mantoni appréciait les présentations de Geoff. Il avait une intuition sur les gens qui s’avérait toujours en tout cas en partie correcte. Néanmoins, parfois, il lui semblait que plus elle désirait savoir ce qu’il savait, plus il faisait durer ses introductions. Elle s’alluma une cigarette en lui faisant signe de continuer.
-« Bref, tout ça pour dire que cette charmante dame, en plus de tout ça est sans doute LA spécialiste des cultes à moitié disparus et de leurs gribouillis occultes. Une sommité mondiale, avec plus de cinquante bouquins à son actif, et un gros, gros paquet d’articles. »
-« Impressionnant. »
-« Ouais. Donc on a de la chance à ce niveau-là. Malheureusement il y a un problème de taille. Ces trucs-là, elle les avait jamais vus. Inconnus au bataillon. Notre sommité sèche. »
-« Fait chier. »
-« C’est aussi ce que j’ai dit. Mais, et là on touche du doigt quelque chose d’utile, elle a posé les choses très différemment de ce qu’on s’imaginait. Ces symboles n’ont pas été récupérés par un malade qui a trippé dessus. Ils ont été créés par lui, ou eux. Mais ce n'est pas tout : La ou les personnes qui ont fait ça sont en tout cas des amateurs éclairés, ce qui veut dire qu'ils ont une connaissance des anciens cultes particulièrement étendue. Elle a commencé à me faire toute une théorie là-dessus, mais je me suis dit qu’il valait mieux qu’on soit là tous les deux quand elle nous ferait son topo. En plus elle avait besoin de farfouiller dans ses bouquins pour voir, parce qu’il y avait des tas de choses qui lui paraissaient familières. Apparemment, ces symboles représentent un culte nouveau mais qui a, comme les vieux qu’on connaît, des tas de ressemblances avec d’autres plus anciens. Bref tout ça pour te dire que demain nous sommes invités à une conférence privée de la Professeure Heather Finn à l’Université de Miskatonic. Je pense que tu vas bien t’amuser, mais peut-être pas autant qu’aujourd’hui.
-« Je suis vraiment obligée d’y aller ? »
-« J’en ai bien peur. Elle nous propose un angle très intéressant qui va évacuer un paquet de gens de notre liste de suspects. Et puis c’est pas tous les jours que notre boulot nous permet de rencontrer une telle pointure. »
-« Bon, puisqu’il le faut… Mais je te préviens, si ça dure trop longtemps je te laisse avec ta vieille scientifique et je retourne au bureau. »
-« Tout ce que tu voudras. Et notre petit gars, alors ? Qu’est-ce qui s’est passé exactement ? »
-« Stan ? Tu en sais autant que moi. Je faisais une petite visite des entrepôts autour de la scène, la routine, et je tombe sur un petit groupe. Et au moment où je commence à leur parler, il arrive, et il se met à courir. J’ai suivi, tu me connais. Honnêtement, j’ai un peu honte. Je sais pas vraiment pourquoi, mais j’ai vraiment eu l’impression qu’il pouvait nous apprendre quelque chose. »
-« On va voir ce qui se passe. Ça ne coûte rien de lui poser deux-trois questions et de le ramener chez lui. »
-« Tu sais ce que j’ai remarqué ? Il n’y a presque plus personne dans le quartier des entrepôts. Comme si quelqu’un avait fait le ménage. Tu sais ce que ça veut dire. »
Geoff hocha la tête, songeur. Une personne (ou un groupe) qui aurait réussi à se débarrasser des SDF avant de commettre un crime serait considérée comme extrêmement compétente. Mais aussi, et cela leur donnait un peu d’espoir, de particulièrement paranoïaque. Il y avait bien longtemps que la police d’Arkham n’écoutait plus les témoignages des habitants des entrepôts, les avocats de la défense comme les procureurs ayant jusqu’ici toujours réussi à discréditer leurs témoignages. Il se balança sur sa chaise, d’avant en arrière.
-« Qu’est-ce qui réussirait à faire peur à des gens qui n’ont rien ? »
-« Tu commences aussi à sentir quelque chose de pourri au royaume de Danemark ? »
-« Ouais. Va falloir qu’on avance vite sur ce coup… »
Mantoni écrasa sa cigarette. Stan devait avoir à peu près fini, et il avait peut-être quelque chose à leur apprendre. Il le fallait. Un bruit de verre qui se brise se fit entendre. Les deux flics bondirent sur leurs pieds et se précipitèrent en haut des escaliers.

Andy Brown éteignit la télé. Ils étaient nuls les cartoons cet après-midi. Il soupira, et se dirigea vers la cuisine. L’horloge sur le four indiquait quatre heures et demie, Maman et Papa seraient là d’ici une petite heure. Il avait des devoirs à terminer, mais il n’en avait que pour cinq minutes. Il allait les finir avec Papa, et voilà ! Il prit un gobelet qui séchait sur le rebord de l’évier, et se remplit un grand verre de Coca. Les petites bulles résonnaient à travers le plastique. Il aimait bien ça. Il prit un second gobelet et le remplit puis, précautionneusement pour ne pas avoir à éponger du Coca toute la soirée, il se dirigea vers la chambre de son frère Michael. Celui-ci jouait à la console. Il s’empara du verre de Coca que lui tendait son frère et lui frotta la tête avec sa main.
-« Eh ben, ‘Dy, tu t’ennuies ? Tu veux jouer à un truc avec moi ? »
-« Bof… dit Andy, j’aimerais mieux aller jouer dehors. »
-« Tu peux y aller si tu restes dans le lotissement. Ou alors tu peux attendre que je trouve une sauvegarde et on ira en ville tous les deux. »
-« Cool ! »
Michael avait seize ans, et, contrairement aux grands frères de tous les copains d’Andy, avait toujours un peu de temps à lui consacrer. Andy s’assit et regarda un moment son frère jouer. Un bruit dans l’entrée. Peut-être Papa et Maman qui rentraient plus tôt. Les deux garçons sortirent de la chambre. Étrange… Ils les auraient entendus discuter. Michael fronça les sourcils. On aurait bien dit la porte, pourtant. Ils tendirent l’oreille. Plus rien. Quoique. Il y avait comme un cliquetis derrière la porte, comme si quelqu’un tapait légèrement de l’ongle… Michael leva la voix : « J’appelle les flics, bâtard ! ». Il avait parlé avec sa meilleure voix de racaille, qui faisait tellement rire Andy. Soudain, le cliquetis se tut. « Bizarre, dit Andy ». Il avait un petit peu peur. Son frère lui serra gentiment l’épaule : « T’en fais pas. Ils sont partis, quoi. » Il avait de nouveau parlé avec sa voix de racaille. Andy éclata de rire. « Bon, allez, mets tes chaussures, on va aller manger une glace. » Andy s’exécuta. Michael vérifia ses lacets. Alors qu’ils sortaient de l’appartement, deux chiffons chloroformés furent plaqués sur leurs visages...

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Gamine, c'est tout à fait les peurs que j'avais lorsque j'entendais un bruit : un "méchant" qui pourrait m'agresser. Parfois je restais planquée, la couette sur le visage... sur les cheveux, même, pour pas qu'on les voie. Au bout d'un moment, je pouvais plus respirer, alors je resortais tout doucement, en regardant bien autour de moi et en écoutant. D'autres fois, je revenais des toilettes en courant, manquant de me casser un orteil ou de tomber par terre. Je me suis fais de ces frayeurs... C'est exactement de ça dont j'avais peur.

Je sens que je vais faire des cauchemars.

Jojo a dit…

C'est pas des pédophiles, c'est des cannibales ! Ou pire, des marins : les femmes et les enfants d'abord !

Et sinon, le bruit de verre cassé ça fait un peu Tintin dans Les 7 boules de cristal...

Jojo a dit…

Cette fois nous sommes partis mon vieux Milou !

Bouddha a dit…

Sacrée histoire je vous le dis.