lundi, août 31, 2009

Comment tombent les héros - Première Partie (2)

Serpentine :

Perdue parmi les pleureurs, tentant de camoufler un petit sourire de satisfaction qui rayait le visage qu'elle avait emprunté pour l'occasion, Serpentine observait. Un asticot de moins. Un peu de vengeance toute faite, prête à se faire déguster comme un petit plat tout chaud, et elle le dévorait. Chagrin ! Détresse ! Deuil ! Chagrin pour eux, qui lui avaient pris son amant. Qui n'avait pas levé le petit doigt, absorbant à ce moment sa propre subsistance, se gavant des rêves mesquins de la horde de nuisibles qui peuplaient ce petit coin minable de province. Elle lui avait demandé tant de fois, à lui, son Valérian, quand ils allaient enfin laisser Ferney derrière eux, petit tas de ruines. Mais il avait choisi de régner d'abord sur son lieu d'origine avant de faire déferler le feu de sa colère sur le reste du monde, assoir sa puissance localement et mener une guerre de plus en plus meurtrière et de plus en plus étendue. Jusqu'à saisir un trône digne de son talent. Aujourd'hui le trône était loin, le Grand Dieu était chassé, mort peut-être, et Serpentine n'avait plus rien, sinon l'envie de tuer, de mordre, de se repaître du désespoir de ceux par qui tout avait échoué. Elle tourna la tête, affectant une expression suffisamment triste pour ne pas se faire voir. L'autre petite pute observait aussi la foule, le cimetière, une expression vide sur son visage. Elle s'imagina la faire saigner, goutte à goutte, attachée au mur du grand loft qu'elle partageait avec son vampire. Elle l'imagina en train de hurler au secours, battue, brisée, écrasée par le poids de la rage que Serpentine aurait déchaînée contre elle. Ses paumes lui faisaient mal. La peau qu'elle s'était fabriquée avait craqué sous la pression de ses ongles, et un sang jaunâtre s'écoulait de ses poings. Oh oui, elle allait la faire souffrir. Et lui aussi, le grand, là, caché derrière une tombe. Lui qui les accompagnait partout comme un fidèle chien. Elle allait lui arracher les membres, le réduire en purée, le broyer dans sa paume, dépecer son visage et en faire son animal de compagnie, énucléé, démembré, sa chienne éventrée comme seule compagne de niche. Elle allait leur faire payer. Pour le Grand Dieu, bien sûr, mais les doppelgängers avaient servi d'autres dieux, et ils retrouveraient une foi d'ici peu. Mais surtout pour Valérian, qui l'avait aimée comme la proie craint le prédateur, comme le maître plie l'esclave. Elle était le vent sur ses braises, chacun alimentant la rage de l'autre, la faim de pouvoir et la cruelle créativité. Et ils lui avaient pris. Ce soir, ils allaient payer.

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