lundi, août 31, 2009

Comment tombent les héros - Première Partie (1)

Elisa.

"C'était ma copine. C'était ma copine et elle est morte. Elle est dans cette boîte, là, devant. Elle est morte en sauvant le monde, elle avait rien demandé. Elle était au bon endroit, au bon moment, et s'il reste des bons moments, c'est grâce à elle. Des bons moments... Il y avait cette nuit où on avait fait le mur, c'était juste nous trois à l'époque, on fouinait comme d'habitude, on courait après les mystères, Scooby-Doo where are you ?"

En retrait, Elisa jouait avec une breloque cousue sur sa petite robe noire, absente. Son visage ne trahissait aucun sentiment, sinon un léger ennui. La foule autour d'elle était habillée de noir, pleurant dans des manteaux qui n'en finissaient pas de tomber pour se protéger de la bise automnale. Tournant la tête, elle jeta un oeil sur le jardin, là-bas, où tout avait commencé ou presque. Dans la fin d'après-midi hivernale, le parc était vide, blanc et noir, les arbres nus griffonnés sur le ciel gris pâle. Les cages à lapin où les mamans amenaient jouer leurs bébés en été étaient ensevelies sous la neige, le toboggan en plastique rouge ne dépassant qu'à peine. Elisa jeta de nouveau un oeil distrait sur la cérémonie, et laissa de nouveau son esprit vagabonder.

"Ce soir-là il n'y avait rien, pas de mystère, pas de vampires, pas de fantômes, pas de farfadets. Alors on s'était assis, Thomas sur les balançoires, tête baissée sans rien dire, comme d'habitude, elle sur un banc un peu plus loin, et moi à côté, à parler de musique, de cinéma et de nos profs. C'était la fin de l'automne, il faisait bon, on n'avait rien à faire à part traîner dans notre parc, et profiter, et décider de grandir ensemble, à la vie à la mort. Ce soir-là, après s'être trouvés tous les trois sur un coup des hasards de l'organisation des classes de Seconde, on était devenus des amis.

Quelques mois plus tard on était aujourd'hui, et aujourd'hui elle est morte. Et pas moi. Debout sur le champ de ruines de notre dernière bataille, au bord de l'évanouissement, je m'étais imaginé son combat, l'urne, et toutes ces saloperies qui avaient débarqué dans nos vies quand ce que nos potes vivaient de plus grave étaient des ruptures et des engueulades. Pendant que les autres mentaient sur leur âge pour essayer de rentrer en boîte, nous on luttait derrière elle contre les forces du mal, pour que tout le monde puisse rentrer chez soi le soir et dormir, pour profiter du week-end, aller faire du sport, aller se promener, tous ces trucs qu'on n'avait plus le temps de faire. Le pire, c'est qu'en plus de tout ça, elle réussissait à sourire, à ne pas voir le monde comme la vieille pomme pourrie que je voyais tous les jours devenir plus grouillante de vers. Aujourd'hui, les vers ont gagné, et ils m'ont pris ma copine. Elle s'est battue pour eux et ils n'ont rien fait pour la retenir, et maintenant elle est partie.

Tu aurais vu sa mère, elle est transparente, anéantie, et son père n'arrête de pleurer que quand il s'occupe de la paperasse. Ils l'ont enterrée pas loin de notre parc, une cérémonie religieuse à la con, avec un prêtre qui pensait que c'était son dieu à lui qui nous sauverait. Les gens qui étaient là ne la connaissaient pas, ne savaient pas qui elle était vraiment. Ses parents ne connaissaient pas la moitié de ses potes, son Jean-Louis s'est présenté entre deux sanglots, au moment où on défilait pour les assurer de nos condoléances. Le prêtre a fini son sermon, devant une boîte vide, elle n'y était plus, elle était dans notre parc, dans les bras de son mec, dans mon coeur à moi et dans les pensées de Thomas, et finalement j'ai décidé de partir, le cimetière était nul, indigne de ce qu'elle représentait pour nous. Les enterrements sont pour les vivants, et quand on est jeune, nos parents sont ceux qui savent le moins à quels vivants on manquera. Cette cérémonie n'était pas pour moi, ni pour Thomas, ni pour Jean-Louis, ni pour tous ceux qui savaient qui elle était. Elle était pour sa famille, qui l'avait à peine vue devenir qui elle était en train de devenir, juste avant qu'elle ne s'use et qu'elle finisse par tomber. Et c'était bien, tout ça, pour eux, qui ne pouvaient pas savoir. Mais ça ne me suffisait pas, ça ne comblait rien. A ce moment précis, j'ai décidé de faire quelque chose, quelque chose qui aurait vraiment un sens, quelque chose qui ferait peut-être taire cette petite fille en moi qui n'arrêtait pas de pleurer.
J'ai trouvé Thomas, qui observait de loin, de peur que les flics le serrent, sa Nathalie le tenant par la main, les lunettes embuées de larmes."

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