lundi, août 31, 2009

Comment tombent les héros - Quatrième partie (3)

Elisa.

Elisa revint à elle dans une cacophonie de rugissements, d'imprécations et de chocs sourds. Péniblement, elle tenta de chasser de son visage le sang qui poissait, collant ses paupières, obstruant sa vue. Elle avait mal partout. Son visage avait été griffé en profondeur, de son front à sa joue droite, l'arête du nez seule ayant prévenu qu'elle perdît un oeil. Deux au moins de ses côtes la faisaient souffrir le martyre, et elle découvrit sur l'une de ses jambes un hématome déjà violacé qui montait de la cheville au genou. Elle jeta un oeil aux alentours. Plusieurs doppels gisaient, leur sang jaune tranchant sur la neige. A quelques mètres d'elle Thomas se défendait comme il le pouvait contre les assauts d'un vampire juché sur sa poitrine. Manifestement à bout de forces, il semblait à deux doigts de céder aux assauts du monstre. Un peu plus loin, Nathalie était à genoux, tenant son bras droit pendant devant elle, une mauvaise blessure lui barrant l'épaule. Elle oscillait doucement, semblant prête à s'évanouir. Juste devant elle, le cadavre d'un vampire, la tête presque arrachée, laissait signaler qu'elle avait été sauvée in extremis, et Elisa découvrit enfin par qui. Wilhelm, tout en cornes et en griffes, se démenait dans une mêlée sanglante, tenant tête à la demi-douzaine de créatures restantes, tranchant. Il semblait protéger quelque chose, une masse qu'Elisa ne parvenait pas à distinguer... Elle le vit feinter de la main droite, exposant l'autre flanc à l'attaque d'un gigantesque doppel qui passa immédiatement à l'attaque. Dans un même mouvement, Wilhelm pourfendit un vampire, enfonçant ses griffes jusqu'à la deuxième phalange dans son coeur, et saisit de sa main gauche la gorge de son assaillant, qui poussa un grognement étranglé. Il le jeta ensuite sur ses congénères, qui tombèrent tous au sol en une mêlée désorganisée. A ce moment précis, Serpentine entra dans la mêlée. Elle avait abandonné son enveloppe humaine, et s'était révélée son son vrai jour. Elisa n'avait jamais vu un doppel aussi massif. Le corps, mou et squameux chez les autres, semblait sec et noueux, tout en muscles et cartilages, brillant sous la pâleur de la lune. D'un uppercut parfait, elle envoya valdinguer Wilhelm à un mètre en arrière. Il se reçut comme il le put, et tenta immédiatement de se redresser entre elle et ses protégés. Elisa devina qu'il devait s'agir d'Ernest et de Monsieur Vé. Serpentine tourna la tête vers ses sbires. "Finissez les enfants. Je me charge de la bête et des vieux ! faites les souffrir, faites-les souffrir comme je souffre !" La horde, électrisée par ses exhortations, sembla se calmer, et s'organisa aussitôt pour se relever.
Elisa se sentit légère, soudain, alors que le vertige l'envahissait peu à peu. Elle les avait tous conviés ici, ce soir. Et ils allaient mourir à cause d'elle. Paralysée par la culpabilité, elle se laissa tomber en arrière, attendant la mort. Au-dessus, le ciel lui semblait resplendir d'étoiles, dans l'air froid et sec. Le ciel... Bien sûr ! Le ciel ! Elle se rappela soudain pourquoi elle les avait invités. Elle commença à réfléchir à la meilleure manière de mettre son plan à exécution. C'était faisable, enfin ça le serait si elle avait un peu de temps. Malheureusement les monstres étaient presque relevés, et ce ne serait qu'une question de secondes avant qu'ils ne soient sur elle.
Elisa sentit soudain une présence à côté d'elle, qui la fit pousser un cri. Ce n'était que Thomas, qui s'était traîné jusqu'à elle, essoufflé, meurtri, mais encore en un morceau. "J'ai mal", dit-il simplement, d'une voix rauque, frottant les muscles de ses épaules. Elisa vit que son cou n'était qu'un hématome, la peau étant même déchirée par endroits. "J'ai vachement mal. Vachement, vachement... Tu as mal aussi, toi ? On dirait que tu as mal."
Elisa acquiesça d'un hochement de tête, puis dit : "Il va falloir que tu m'aides. J'ai besoin de deux grosses minutes sans interruption, et il va falloir que tu m'arranges ça."
"Ca veut dire que je vais avoir encore plus mal, hein ?" dit Thomas tristement. "OK, va pour deux minutes. Mais tu me devras une bière..." Il se remit sur pieds, du mieux qu'il put. Il avait au moins retrouvé son épée. "Non, deux bières." Mais Elisa n'écoutait plus. Perdue dans les méandres de l'Echeveau, elle cherchait les fils qu'elle avait préparés avant d'être interrompue. La régularité mathématique l'apaisa, sa respiration se fit plus régulière, et elle se lança dans son exploration. Nicolas apparut à ses côtés, comme souvent lorsqu'elle faisait de la magie. Lorsqu'elle voyait l'Echeveau, il lui apparaissait toujours un peu plus net, comme si l'énorme masse d'énergie lui redonnait un peu de vitalité. Doucement, il lui prit la main.
-"Je m'excuse. Je ne sais pas ce que tu prépares. Mais je vais t'aider, si je peux."
Elisa lui sourit, un peu sévèrement.
-"Ce n'est pas moi qu'il faut aider. C'est Ernest, et Wilhelm, et les autres. Il faut que tu y ailles maintenant. J'ai besoin d'encore un peu de temps."
-"J'y vais."
Il lâcha sa main et disparut. Soulagée, elle se remit à la tâche.

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