lundi, août 31, 2009

Comment tombent les héros - Troisième partie (4)

Elisa.

Seule dans sa chambre, Elisa jetait frénétiquement des notes dans son petit carnet noir. Elle avait aménagé dans sa chambre un bureau, éclairé par une petite lampe borgne. Au-dessus, une étagère de bois noir contenait tous les grimoires qu'elle avait empruntés à Van Helsing. Il l'avait souvent exhortée à la méfiance, les auteurs de ces ouvrages ayant été pour certains complètement fous, et pour la plupart ivres de pouvoir. Elle avait acquiescé. Bien sûr qu'elle ferait attention. Bien sûr qu'elle n'utiliserait aucun sort trop puissant. Bien sûr qu'elle savait que ce jeu était dangereux et qu'il y avait toujours un prix à payer. Et tout au long de sa courte carrière de magicienne, elle s'était toujours tenue à ces recommandations. Nicolas apparut dans un souffle.
-"Ca va ? Je peux rester ? Qu'est-ce que tu fais ?"
-"Je travaille pour ce soir", répondit-elle, levant à peine les yeux, "je veux essayer quelque chose."
-"Tu t'en sors ?"
-"Quand je ne suis pas interrompue par mon esprit malin préféré.", répondit-elle vaguement.
-"Tu travailles trop dur. Tu devrais te reposer."
-"Demain, ça sera fini. Je me reposerai à ce moment-là."
-"Tu ne veux pas me dire sur quoi tu travailles ?"
-"C'est une surprise. Mais aucun danger, tout devrait bien se passer si je ne me trompe pas. J'aurai besoin de toi, d'ailleurs, un peu plus tard."
-"Tu ne veux pas me dire sur quoi tu travailles ?"
-"Non." Et elle se replongea dans ses notes.
Nicolas jeta un oeil sur les livres ouverts devant elle. Magie noire, rituels, tout ça ne lui disait rien qui vaille.
-"Tu sais..." Elle posa son carnet sur le bureau, agacée, et leva les yeux sur lui. "La vie après la mort, ce n'est pas une solution. On souffre, tu sais, on est seul. Même avec des amis... C'est compliqué, on n'est quand même pas vraiment là."
-"Tu choisis maintenant pour me parler de tes problèmes ? Tu ne vois pas que je suis occupée ? J'ai des choses à faire pour ce soir, des choses importantes."
-"Justement je, enfin... j'ai peur pour toi, pour ce que tu vas faire. Depuis ce jour-là tu t'es renfermée, tu ne partages rien, tu es toujours derrière un bouquin. J'ai peur que tu t'enfermes toute seule."
-"Tu m'espionnes ? Tu viens ici regarder ce que je fais ?"
-"Non, pas du tout, je ne viens jamais sans me montrer et tu le sais. On en a discuté."
-"Alors qu'est-ce que tu sais de ce que je fais ? Tu trouves que je ne m'occupe plus assez de toi ?" dit-elle d'un ton mi-colérique, mi-soucieux.
Nicolas soupira, sa silhouette translucide devenant plus floue encore.
-"Je ne te reproche rien. J'ai juste peur que ce truc que tu fais, en ce moment, ne résolve rien. J'ai peur que tu te lances dans une expérience que tu ne contrôleras pas, à cause du chagrin, à cause de tout ce que tu as perdu. Je sais de quoi je parle, j'ai aussi perdu des amis tu sais..."
Elisa se leva et s'approcha de lui. Elle planta son regard dans le sien. Il y lut une détermination sans faille, une certitude que rien ne pourrait ébranler. Et, derrière, une petite lueur de reproche. Il s'apprêtait à capituler quand elle posa une main sur son bras.
-"Je sais ce que tu penses, et tu te trompes. Je suis un peu déçue que tu penses ça de moi. Par contre, je lui ai fait une promesse," ses yeux s'embuèrent de larmes, qu'elle chassa d'un mouvement de tête, "et je vais la tenir. Je ne vais pas passer des heures à t'expliquer ce que je vais faire, pour être honnête je me fous de savoir ce que qui que ce soit dira, je lui ai fait une promesse et je vais la tenir. Je n'ai pas assez de temps pour te rassurer, je n'ai pas assez de temps pour t'expliquer pourquoi il est nécessaire de tenir une promesse faite à la personne qui t'a sauvé la vie, quand elle pleurait toutes les larmes de son corps parce qu'elle avait tellement peur, parce qu'elle avait compris qu'elle allait tout perdre et qu'elle se demandait pourquoi." Elle ne réussit pas cette fois à ravaler ses larmes. "Et tu n'arriveras pas à me convaincre que je ne sais pas ce que je fais, apparemment moi non plus. Tu ne me fais pas confiance, en fait, et je ne perdrai pas de temps à te rassurer." Elle soupira pour se calmer, et reprit d'une voix blanche : "Alors tu dégages. Tu viendras ce soir si tu veux et on en parlera si tu veux, mais après, parce que je n'ai plus de temps pour toi et que tu m'as fait mal, et que je n'ai pas besoin de ça maintenant. Tu t'en vas, Nicolas. Et tu ne reviens que quand tu sauras de quoi tu parles."
Elle se détourna de lui. Il disparut sans un mot, et elle se remit au travail.

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