lundi, août 31, 2009

Comment tombent les héros - Deuxième partie (2)

Elisa.

Cachée derrière une gigantesque pile de livres posée sur le comptoir, Elisa prenait des notes. Le rituel demandait une certaine préparation. D'après ce qu'elle avait glané au cours de l'année, il était relativement simple d'entrer en contact avec une autre dimension. Mais une fois le portail ouvert, trouver une personne spécifique s'avérait un défi de taille. Et en cas d'erreur, qui pouvait savoir ce qui serait contacté ?
Ernest se tourna vers elle :
-"Je crois que nous avançons."
Elisa leva la tête. Il avait perdu du poids et son perpétuel gilet à carreaux pendait le long de son torse. Un des pans de sa chemise dépassait, et il semblait perdu, comme s'il ne trouvait plus dans ses recherches aucune satisfaction. D'ordinaire enthousiaste au point d'en être difficilement supportable, il avait l'air de tourner en rond, relisant plusieurs fois le même passage, marmonnant dans son début de barbe, soupirant de frustration.
-"Vous voulez que je vérifie ?"
-"Nous y sommes presque, Elisa. Je dois simplement traduire un dernier passage. Est-ce que l'un d'entre vous possède un effet personnel ? Un objet auquel il tiendrait particulièrement ?"
-"Il avait une espèce de couverture dans sa caverne, je crois, quand il venait ici. Peut-être est-elle encore là-bas ? Sinon, je ne vois rien. Je peux demander à Nicolas d'aller voir."
La gaffe ! Elisa se mordit la lèvre. Mentionner Nicolas devant Ernest était une grosse bêtise. Il détestait les fantômes, et il avait même tenté de renvoyer Nicolas et Saturnin dans l'Outre-Monde, lorsqu'ils s'étaient tous rencontrés. A l'époque, il n'y avait ni Source, ni rien, juste deux fantômes un peu crétins qui avaient semé la panique dans le lycée, pour s'amuser. Ernest avait décidé de tenter un exorcisme, mais Sandra, Thomas, et elle-même en avaient décidé autrement. Ils s'étaient moqués de lui, l'avaient ridiculisé, et il était parti. Malgré elle, un petit sourire se dessina sur ses lèvres. Lui, le professeur, le spécialiste tyrannique et imbu de lui-même, contre eux, les trois gamins courageux ("et un petit peu imbus de nous-mêmes", ajouta-t-elle malicieusement). Ils avaient eu raison, et ils avaient gagné. Mais elle se demandait comment il allait réagir devant le souvenir "vivant" de son cuisant échec.
-"Nicolas, votre fantôme, n'est-ce pas ?" Ernest interrompit sa rêverie. "Eh bien soit, nous sommes pressés par le temps, ça fera l'affaire." Il avait à peine hésité. Drôle de type.
Elisa se concentra une seconde. Depuis la grande bataille, contacter Nicolas lui semblait aussi naturel que de parler.
-"Comment... va-t-il ?", hésita Ernest.
-"Comme un fantôme, je crois. C'est difficile à savoir, avec lui, mais je crois qu'il est assez heureux ces temps-ci."
-"Je le sais, parce qu'il vient me voir la nuit, et que je lui parle, que je le garde près de moi, et que c'est mon amoureux, un amoureux bizarre mais mon amoureux quand même, et je l'aime, et vous ne pouvez probablement pas comprendre, mais c'est comme ça", pensa-t-elle.
-"C'est bien, j'imagine", hasarda Ernest. "Ah, le voilà qui arrive."
Elisa sentit comme un souffle sur sa peau. Une vieille couverture, grise de poussière, sur laquelle on pouvait à peine deviner les personnages d'une série de films de science-fiction se déroulant il y a bien longtemps dans une galaxie très lointaine, venait d'être posée délicatement devant eux. Nicolas lui murmura à l'oreille : "Je m'en vais. A ce soir.", puis disparut dans un souffle s'attardant un instant sur sa joue.
-"Merci.", lança Ernest à l'aveuglette.
-"Il est déjà parti. Je crois que vous lui faites un peu peur. On se remet au travail ?".
-"Allons-y."

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