lundi, août 31, 2009

Comment tombent les héros - Deuxième partie (3)

Ernest.

Se tenir occupé, voilà ce qu'il lui fallait. Ne pas penser à elle, ne pas penser à son échec à la sauver, à son impuissance. Travailler sur des choses simples, des choses qu'il maîtrisait un peu. Ne pas rester seul aussi. Il avait passé ces quelques jours plongé dans une concentration intense, il avait bloqué le monde alentour pour ne pas se laisser distraire, et quand elle était morte il s'était retrouvé seul, entièrement seul. Et quand il avait dû retourner à sa vie, il l'avait vue d'un oeil nouveau. Et il n'avait pas apprécié ce qu'il y avait vu : une bibliothèque vide et silencieuse.
Il finit de dessiner le pentacle à la craie, et y plaça la couverture. Une courte incantation plus tard, et le portail était ouvert. Ne restait plus qu'à attendre, quelques dizaines de minutes, en espérant ne pas attirer un autre voyageur. La jeune fille était restée près de lui, dans le vieux garage jouxtant la boutique de Van Helsing, patientant avec lui.
-"Elle a eu de la chance de vous avoir, je crois, de savoir que vous vous occupiez d'elle.", commença Elisa, brusquement. "Et là vous vous occupez encore d'elle, d'une certaine manière. Je crois qu'on pourrait presque aller jusqu'à vous dire merci."
-"J'ai fait si peu. Je n'ai rien réglé, rien résolu. Je n'ai, comme d'habitude, servi à rien."
-"Je n'irai pas jusque là. Allez, Ernest, où est passée votre légendaire confiance en vous ? "
-"Je suis désolé."
-"Vous savez, pire que perdre une amie, pire que se dire qu'elle ne sera jamais plus avec nous à traîner, pire que se dire qu'elle n'est plus là pour nous protéger, il y a le fait que personne n'a eu le temps de lui dire au revoir." Ses mains crispées sur le vieil ouvrage tremblaient. "Cet enterrement, ça ne voulait rien dire, on n'enterre pas un super-héros comme quelqu'un de... de normal. On n'a même pas pu lui montrer à quel point elle comptait pour nous. Et j'ai besoin de le lui dire. On a tous besoin de le lui dire, pour que ça ait un sens, pour qu'on puisse avancer. Pour que vous redeveniez vous, pour que tout le monde redevienne comme avant."
-"Hélas, aujourd'hui, les héros se font rares. Nous avons oublié comment les accompagner honorablement vers leur prochaine demeure. Malheureusement ceci n'implique pas que nous soyons plus aptes à les oublier."
-"Il nous faut quelque chose de plus fort, quelque chose qui aura vraiment un sens. Vous verrez, je vais trouver une solution."
-"Qu'est-ce que vous voulez dire par..."
L'air craqua, un coup sec, amenant avec lui une odeur d'ozone. Un courant d'air se leva, semblant venir de partout. Une nuée d'étincelles vertes crépitait devant eux, grandissant à vue d'oeil.
-"Quelque chose s'approche !", cria Ernest, sa voix rendue presque inaudible par le vent qui les giflait en bourrasques venant de toute part.
Au coeur de la nuée, on pouvait désormais apercevoir, superposé aux parois de béton brut du garage, un paysage torturé, au ciel gris zébré d'éclairs rouge. Quelques arbres décharnés masquaient une lune immense. Au loin, ils distinguaient une forme humanoïde qui semblait courir vers eux.
-"C'est Wilhelm ?" hurla Elisa.
-"Je crois, mais il semblerait qu'il ne soit pas seul."
Derrière la forme, un peu plus précise maintenant, une créature courait à quatre pattes. Wilhelm jetait de temps en temps un regard rapide derrière son épaule, et accélérait tant qu'il le pouvait quand il sentait l'étrange créature le talonner de trop près. Ernest remarqua la grâce féline de la bête, sa musculature puissante luisant sous la lune. Ses crocs gigantesques, aussi.
-"Il faut que nous fermions le passage derrière lui ! Si cette chose passe le portail..."
-"Merci, je crois que j'avais compris !", le rabroua Elisa. Wilhelm et son monstrueux poursuivant étaient tout proches, maintenant. Il la vit se préparer à prononcer la formule à la seconde où il toucherait enfin le sol du garage. Sa concentration était à son paroxysme, elle n'avait pas le droit à l'erreur.
Wilhelm se jeta en avant, à travers la faille. La bête, désarçonnée par les lumières, hésita un instant avant de bondir à son tour. Trop tard ! Ernest entendit Elisa lancer une imprécation, le vent tomba et, alors que Wilhelm se rétablissait sur ses pieds, tout redevint calme.
L'instant d'après, Thomas, Nathalie et Van Helsing, lourdement armés, pénétraient dans le garage.
Wilhelm, essoufflé, se tourna vers eux, un large sourire de soulagement rayant son visage écailleux d'une corne à l'autre :
-"Les autres dimensions, ça fait aussi bizarre la deuxième fois."
Thomas, Elisa et Nathalie se précipitèrent sur lui et l'étreignirent tous ensemble, plaisir et douleur sur leurs visages.
-"Eh bien ? Il s'est passé quelque chose ?"

C'est à ce moment précis qu'un hurlement déchirant emplit la pièce. Puis la tête de la bête, sectionnée au cou, attaqua.

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