lundi, août 31, 2009

Comment tombent les héros - Première Partie (6)

Abraham.

Il rangeait ses livres et nettoyait ses étagères. Chaque tranche mal alignée, chaque trace de poussière, chaque décalage dans les piles branlantes qui envahissaient, à l'exception de petits chemins permettant de traverser, le sol de sa boutique. Il s'occupait comme il pouvait, mais chaque mouvement lui coûtait désormais, comme si cette nouvelle perte, ce nouveau deuil... et il était d'un seul coup rattrapé par son âge. Abraham Van Helsing, trois cents ans, une broutille, mais qui semblait désormais être ressentie par chacune de ses articulations. Mais c'était peut-être ça, qu'il cherchait, cette douleur, pour ne plus sentir le vide. Il avait disposé de plus d'années, mais avec une vie si longue il avait perdu plus que beaucoup. Son épouse d'abord, sa fille, son premier élève, et maintenant la seconde, celle qui avait repris le flambeau. Il n'y en aurait plus, après elle. Il était trop vieux et cela lui coûtait trop. On s'y faisait, peut-être, mais pas lui, plus maintenant.
La clochette de l'entrée retentit, malgré le panneau FERME accroché bien en vue sur la porte. Sans un mot, Elisa, Thomas, et Nathalie franchirent le seuil de l'arrière-boutique. Qu'ils étaient graves, ces enfants, qu'ils avaient déjà tant vécu, qu'ils avaient souffert ! Il posa son plumeau, et s'approcha.
-"Ils l'ont enterrée, Monsieur Vé", déclara Elisa d'une voix blanche, "elle a fini par mourir à petit feu devant nous ! Elle était pas censée mourir comme ça, c'est pas juste. Elle a tellement fait pour tellement de monde. Et si vous aviez vu, si vous aviez vu comment ils l'ont traitée, toute seule dans une boîte, toute seule dans la terre, ils la connaissaient pas, ils..."
Elle s'interrompit. Il l'étreignit, de ses vieux bras noueux. Il la laissa blottie contre lui, une grosse larme coulant sur sa joue, perdue dans ses rides. Elle était glacée, dans ses habits d'hiver.
-"On est restés assis comme des cons dans le parc pour une heure."
Thomas s'était affalé sur Nathalie, assise par terre dans son recoin favori, regard vide. C'était la première qu'il entendait Elisa parler de la mort de leur copine. Elle n'avait rien dit ou presque depuis ce jour-là, se contentant d'acquiescer de temps en temps. Il se faisait un peu de souci pour elle, en fait, toujours toute seule, un demi-sourire triste perpétuellement collé, comme si elle allait éclater d'ici peu.
-"On voulait pas bouger, mais on a commencé à avoir les doigts tout bleus. Je dirais pas non à un café, Monsieur Vé, si vous avez ça par là".
Tout doucement, Abraham détacha son étreinte d'Elisa. Ses yeux étaient secs, son regard, vide.
-"Je vais aller faire une cafetière", dit Van Helsing.
Elle se laissa tomber sur une chaise, frissonnant, et s'enferma de nouveau dans le silence.

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