lundi, août 31, 2009

Comment tombent les héros - Deuxième partie (1)

Thomas.

La clochette tinta, ce vieux bruit de cuivre dissonant qu'il adorait. Thomas s'était toujours demandé quel âge avait la boutique d'Abraham. Il savait que le vieil homme était plusieurs fois centenaire, et peut-être avait-il ouvert sa boutique quand il était juste un peu plus vieux qu'eux, dix-huit ans, peut-être. Il souffla sur son café, profitant de la chaleur de la tasse pour dégourdir ses doigts. Ils étaient assis, comme si souvent, autour de l'antique table de chêne qui servait à la fois de bureau, de débarras, et de table à manger au vieil homme. Nathalie parlait à voix basse avec Elisa, une main posée sur son épaule, le rassurant de sa présence. Abraham fumait sa pipe en silence, ses yeux s'égaraient de temps en temps sur une feuille de papier, un vieux bouquin poussiéreux...
Ernest pénétra dans la pièce, son habituel maintien un lointain souvenir, des poches sous ses yeux gris. Il salua sobrement les occupants, puis resta debout, oscillant légèrement. "C'est marrant", pensa Thomas, "ce type, qui n'a pas arrêté de nous engueuler, de critiquer tout ce qu'on faisait, il a toujours été derrière nous. Il en a vu de drôles, et il a toujours suivi. Et il a tout donné pour elle, sur la fin. Je me demande s'il a dormi plus de deux heures sur ces trois jours, le nez dans ses bouquins. Et depuis qu'elle est morte on dirait qu'il a tout perdu. Pauvre vieux." Il se leva, alla chercher une tasse, la remplit de café, un nuage de lait, et l'apporta à Galore. Celui-ci balbutia un "merci" gêné, et s'assit à sa place, sur la droite de Van Helsing. Ils étaient presque tous là, les compagnons habituels. Ne manquaient à l'appel que Rachid et Jean-Louis, et Wilhelm.
-"Putain !", s'écria Thomas, bondissant de son siège, "on a oublié Wilhelm, il ne sait pas, il faut le prévenir ! Quelqu'un sait comment le joindre ? Quelqu'un y a pensé ? On est trop cons, il ne sait pas."
-"Il est rentré chez lui, Thomas," répondit Nathalie, sur un ton triste. "Il ne reviendra peut-être jamais."
-"Mais il faut qu'il le sache, c'est notre ami, il ne peut pas rester sans savoir. Il a déjà manqué la cérémonie, il a déjà manqué..." Thomas s'arrêta. Sa voix tremblait, tout son corps sembla se mettre en branle, un long sanglot montait en lui et il ne savait pas l'arrêter. "Il a pas pu lui dire au revoir.", coassa-t-il, de grosses larmes amères coulant sur sa joue. "Il a pas pu lui dire au revoir", répéta-t-il dans un souffle, avant de se laisser tomber sur sa chaise, sur la table.
Elisa, depuis sa chaise, le regardait étrangement, semblant chercher à fixer la scène dans sa mémoire. Elle n'esquissa pas un geste, mais son regard bleu électrique s'anima d'une étrange manière.
Nathalie se pencha sur lui, et passa la main dans ses cheveux, tentant de le calmer de sa voix douce entre deux sanglots. Elisa le regardait, interdite. Voir ce grand garçon taciturne manifester autant d'émotion était plus étrange encore que tout ce qu'ils avaient vécu.
Ernest s'éclaircit la gorge :
-"Il est peut-être possible de le contacter. Si l'un de vous veut bien m'aider."
Elisa sembla arriver à la conclusion de ses pensées, avant de bondir sur ses pieds :
-"Qu'est-ce que je dois faire ?"

Aucun commentaire: