lundi, août 31, 2009

Comment tombent les héros - Deuxième partie (4)

Thomas.

Une petite horloge de cuivre poli tiquait dans un coin de la pièce. Ils étaient assis, tous ensemble, en silence. Wilhelm, toujours le chasseur, mais aussi discrètement que possible, tentait d'extraire sa lame de la tête monstrueuse, probablement pour la dépecer ensuite, ajoutant à son énorme collection de crânes bizarres. Thomas ignorait jusqu'à son âge, mais d'après ses dires il était encore jeune. Wilhelm parlait des chasses de ses aînés avec un respect confinant à la révérence, et avait à plusieurs reprises mentionné que le pire de ce qu'ils avaient combattu aurait été balayé d'un revers de la main par ses deux parents. Lorsque Elisa et Ernest avaient ouvert le portail, il traquait la bête depuis une semaine, disposant des pièges, des chausses-trappes, cachant ça et là des armes à même de percer son réseau de muscles, tendons et cartilages. Malheureusement, le signal que les deux magiciens avaient envoyé avaient indiqué sa position, et toute la belle embuscade qu'il avait préparée s'était changée en fuite éperdue à travers la plaine. Malgré son caractère fort diminué, la créature leur avait tenu tête ("c'est le cas de le dire...", pensa Thomas) et avait causé de nombreux dégâts. Sans parler de leur ami chasseur, qu'elle avait mordu à plusieurs reprises. Il ne leur en tenait pas rigueur. Thomas était convaincu que Wilhelm (de son vrai nom Flipotrom Excruciax, héritier de la caste dominante de sa dimension) préférait à la tradition ancestrale de la chasse solitaire les nombreuses batailles qu'ils avaient livré ensemble. La première fois qu'il était apparu, dans leur parc, durant l'une de leurs pauses post-patrouille, il était arrivé par hasard, poursuivant une proie. Il avait réussi à tenir tête à Sandra pendant un moment, avant qu'ils ne se rendent compte qu'ils n'avaient aucune raison de se battre. Il avait choisi un nom humain dans un des livres de Van Helsing, parce qu'il aimait bien le W. Et il ne les avait quittés qu'à regret, après plusieurs batailles et une convocation magique de l'un de ses précepteurs. La dernière bataille était gagnée, et plus rien ne le retenait. La Chasse de son peuple l'appelait. Il était parti. Et revenu pour enterrer les morts. Lorsqu'il avait appris le destin de Sandra, un long râle rauque avait secoué son énorme carcasse. Puis il avait demandé comment on disposait des corps des guerriers dans leur dimension. "Pfah !", avait-il craché, "on dispose ici des héros comme de vulgaires Aarok'rhaan ! Comme si sa Chasse avait été abandonnée !" Il avait ensuite entrepris d'expliquer que chez lui, les morts au combat, issus de n'importe quelle caste recevaient les honneurs de tout leur peuple, même en cas de sécession malheureuse. Elisa avait haussé les yeux vers Thomas, et avait semblé vouloir lui dire quelque chose. Puis elle s'était ravisée.
Ensuite, Wilhelm s'était assis, sa chaise craquant sous son poids, et il s'était attaqué à son dernier trophée.
La petite horloge sonna sept coups. Nathalie se tourna vers lui :
-"Mon père doit être parti maintenant. Tu veux prendre une douche ?"
Thomas acquiesça. Ils serrèrent leurs amis dans leur bras, et s'apprêtèrent à partir. Au moment où ils franchissaient la porte, Elisa lança :
-"Rendez-vous dans notre parc, ce soir, à minuit."

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