lundi, janvier 23, 2006

Violence(s)

Pour continuer (un peu) sur ma lancée des grands posts pseudo-intellectuels, je reviens pour un petit moment sur le conflit Bible/Darwin. Pour un observateur un peu ouvert et un tant soit peu civilisé, il est assez facile de se ranger dans le rang des opposants aux fondamentalistes. Ces gens-là, voyons, sont des brutes, ils vont aller tabasser un pauvre prof qui aura l'audace d'enseigner Darwin, ou d'en parler simplement, etc. Certes. Il n'y a rien de respectable dans ce genre de comportement, à mon avis contre-productif pour lesdits fondamentalistes. Mais revenons un peu à notre débat : comme je l'ai dit, les scientifiques définissent la réalité (démocratiquement acceptée comme réelle d'ailleurs, même aux Etats-Unis, qui s'en servent notamment dans le règlement des ses pléthoriques procédures judiciaires). L'univers mental, les idées et les opinions de toute la civilisation occidentale sont orientés vers l'idée que la Science est le Vrai. Même les chrétiens (puisque c'est de ceux-ci que je parle, depuis quelque temps, loin de moi l'idée selon laquelle les autres religions sont plus ouvertes, ou fermées par ailleurs) les moins fanatiques s'accordent à penser que la science est vraie. La conséquence de ceci est importante : plus on "avance" dans la science, moins l'hypothèse opératoire de Dieu en tant qu'explication de l'univers semble utile. Plus la science avance, pourrait-on penser, plus les voies du Seigneur sont impénétrables. Si Dieu a vraiment créé le monde, l'état actuel de nos connaissances ne permet pas de cerner son action à travers notre perception (même scientifique) de la réalité. Ce qui ne veut pas dire que la science a prouvé l'absence de Dieu, puisque Dieu en tant qu'omnipotent peut à la fois créer l'univers et effacer toutes traces de son passage. Néanmoins, lorsque l'on a été élevé et formatté (au sens léger du terme) avec l'hypothèse que Dieu est perceptible tout autour de nous, ceci nous plonge dans une situation compliquée au niveau identitaire : quel bien nous fait le fait de savoir que l'on a des parents si l'on ne peut pas les percevoir ? La position est difficile à garder, et induit une certaine peur, ou tout du moins un malaise certain. Première attaque, premier repli identitaire, début de la polarisation. Néanmoins, pour rajouter encore un peu d'huile sur le feu, revenons sur ce que je disais au début : le monde occidental démocratique donne raison aux masses, et les masses donnent raison à la science (ou tout au moins à leurs représentations de la science). Bourdieu introduit le concept de violence symbolique : "c'est cette violence qui extorque des soumissions qui ne sont même pas perçues comme telles en s'appuyant sur des « attentes collectives », des croyances socialement inculquées. Comme la théorie de la magie, la théorie de la violence symbolique repose sur une théorie de la croyance ou, mieux, sur une théorie de la production de la croyance, du travail de socialisation nécessaire pour produire des agents dotés des schèmes de perception et d'appréciation qui leur permettront de percevoir les injonctions inscrites dans une situation ou dans un discours et de leur obéir."(Raisons pratiques, 1994, p.188) La croyance (ou production de croyance) ici est bien entendu le discours scientifique (ou en tout cas sa tendance à refuser tout savoir produit comme produit dans un contexte). Cette violence, toute symbolique fût-elle, est perçue par nos "fondamentalistes" comme une privation d'un autre droit obligé (l'oxymore est voulu) : la liberté de penser (si chère à Florent Pagny). Cette contradiction émergente du système politico-scientifique, est l'une des causes possibles de la violence physique de ceux qui ont peur que leur perception du réel toute entière soit anéantie par le plus grand nombre. Il ne s'agit pas ici, encore une fois, de justifier des actes que j'irai jusqu'à qualifier de profondément stupides si je n'étais pas aussi bien élevé, mais d'analyser un peu plus largement l'effet que certaines dérives (inconscientes pour tous) sociétales produisent souvent : les émeutes dans les banlieues françaises, fin 2005, sont à mon avis des exemples flagrants de réaction à la violence symbolique due à un appareil politique qui n'arrive pas à se détacher de son racisme institutionnalisé. Cette violence produit des peurs identitaires très fortes, poussant ses "victimes" à des extrémités douteuses... Tout ceci pourrait peut-être être apaisé (à défaut d'être évité) par une plus grande écoute de la part (pour le cas de Bible contre Darwin) de quelques scientifiques ainsi que de quelques tenants de l'ID, pourquoi pas ?

3 commentaires:

Unknown a dit…

Triste (à mon avis) mais vrai. Et depuis bien longtemps...

Jojo a dit…

"leur perception du réelle"

Bravo, superbe, les mots me manquent...

Sinon, pour ce qui est du contenu, je pense que tu as complètement raison : "grands posts pseudo-intellectuels"

Il fut un temps où tu ne parlais de Dieu que lorsque tu avais bu ; à moins que ce soit toujours vrai, auquel cas tu bois à des heures peu orthoéthyliques...

Jojo a dit…

Bon. Soyons plus positif. Réussir à passer par Dieu, la Science et Florent Pagny pour finir sur le mai '68 de fin 2005 (n'ayons pas peur des mots...), il fallait le faire.